Mai/Juin

Lundi 1er mai
8h45. Pas de pause pour moi : je fête le travail en allant donner à dix heures un cours au surdoué Arthur Z. Hier, un très agréable dimanche ensoleillé. Une Elo follette, mais toujours aussi charmante. Je doute toutefois qu’une autre forme de relation se substitue à la présente.
Après avoir eu l’histrion devenu président des Etats-Unis, le père Reagan et sa comique de femme, nous assistons aujourd’hui à un parcours inverse : Bill Clinton achève son mandat avec un petit film d’autodérision où il met en scène son désoeuvrement. De la tonte à la machine à laver, le Bill à tout faire confirme ses dons pour le grotesque. Rappelons qu’il s’était essayé à la dramaturgie avec plan fixe lors de l’affaire Lewinsky. Peut-être cela a-t-il constitué le point déclencheur. En route pour une nouvelle carrière Bill, via le cirque Pinder.

Mardi 2 mai, 0h20
Je devais voir Sandre ce lundi, mais en fin de matinée appel de Mme F. sur mon portable alors que je rentrais du parc de la Tête d’Or. Nouvelle invitation chez eux ; j’accepte avec enthousiasme. C’est la grande passion pour moi en ce moment. Et cette Elo, tellement adorable, un visage si inspirant et une présence si attachante.
Après-midi au soleil radieux à corriger quelques copies Grange-Blanche, je chope mes premières rougeurs au visage. En me ramenant chez moi, Mme F. me raconte l’horreur qu’a été, en 1973, son accident de la route. Un camion brûle un feu et percute sa voiture de côté (par chance, sans ceinture de sécurité, elle est projetée de l’autre côté de l’impact, évitant ainsi le broyage). Les dégâts corporels se révèlent considérables (par exemple : bassin cassé en sept points, vessie éclatée, estomac et rate touchés, etc.). Elle reste plusieurs mois à l’hôpital avec le ventre ouvert. Elle me confie avoir songé à renoncer à se battre. A la voir aujourd’hui, on ne peut se douter de l’horreur du drame. En outre, cette courageuse miraculée a réalisé son propre miracle : avoir la belle Elo dix ans plus tard.
Au journal de TF1, Jean-Claude Narcy fait diffuser l’intégral du Guignol-Clinton. Que faut-il voir dans ce sitcom agrémenté de rires préenregistrés : l’exemplaire autodérision d’un président en fin de mandat ou le révélateur de la déliquescence inéluctable du pouvoir ?

Samedi 6 mai
Encore une soirée délicieuse de complicité et de rire chez les F. Sitôt mon dernier cours donné, je file à Saint-Cyr pour voir Elo jouer au basket. Impressionnant de la voir marquer un panier à cinq mètres. Retour dans la maison familiale et dîner merveilleusement improvisé vers 22h30. Une salade rafraîchissante après un potage et avant un plateau de fromages comme je les chéris. Ils semblent m’apprécier sans l’once d’une réserve, et sont aux petits soins pour moi.
Trente millions de morts : pas le chiffre de la dérive meurtrière d’un tyran déjanté, mais le bilan des décès occasionnés par des accidents de teuf-teuf devenus vroum-vroum dans le monde. A trente ans et demi je n’ai pas le permis de conduire : cela pourrait passer pour de la résistance ; en fait grande fainéantise de ma part dans ce domaine. La mécanique, les tôles bien dessinées, les chromes à faire « polir » le plus vénitien des miroirs, toutes ces sources de « mâles bandaisons » n’ont jamais suscité un quelconque désir chez moi. Un réfractaire de premier choix : né au XXe je n’ai jamais possédé d’autre moyen de locomotion que mes pieds et... un vélo !

Jeudi 11 mai, 0h et quelques
Une pensée pour cette chère Elo qui doit encore réviser ses textes pour ce jour, date de son oral blanc. Elle est passée à l’Institut Galien pour que je lui fasse travailler quelques textes. Quel plaisir toujours renouvelé d’être en sa compagnie. Je modère mon penchant pour elle, sinon je me déclarerais. Elle me fait des confidences...

Vendredi 12 mai, 0h30
La bouffonnerie politique suit son cours. La pays va mieux, une chance pour que l’on évite de compter sur eux. La pseudo-sélection du candidat de droite pour Paris incarne le summum du ridicule qui se croit sérieux. La masculine Alliot-Marie, avec son sourire surfait et ses remarques composées et sans talent, s’illustre par une vraie gesticulation. Que pays et villes soient correctement gérés, voilà le minimum que l’on peut attendre. Pour le reste, les fantasmes feront l’affaire.
Cette chère Elo est précisément tombée sur le poème qu’elle chérissait et maîtrisait le mieux : Le Dormeur du Val de l’homo Rimbaud. Je suis passé vers 17h30 lui faire un petit coucou à la sortie de son lycée privé, rue Pasteur à Lyon. Au milieu de ses camarades, je me trouvais un peu croûton, je la voyais très gamine. Ne suis-je pas en train de m’illusionner sur une très improbable relation ? Et pourtant ma complicité avec elle et ses parents va croissant : la maman m’invite dès qu’une occasion se présente (je dois rester chez eux le samedi soir et tout le dimanche), elle me montre une photo géante de sa fille adorable à 12 ans ; Elo m’accueille mercredi soir quelques instants dans sa chambrette, elle me fait lire la première page de son Journal dimanche dernier, elle se confie à moi... Que puis-je donc représenter pour elle : grand frère, complice bienveillant, autorité respectable ou amant potentiel ? Le cumul ne serait pas insensé. Nous nous entendons si bien, et je suis hanté par sa bouille de poupée virevoltante... Que de suppositions, d’incertitudes et peut-être d’illusions... Sans sombrer dans le carpe diem horacien, prenons et goûtons au cœur tous ces instants partagés avec elle.
Il me faut mettre un coup de collier dans la gestion d’Hisloc qui, il est vrai, est en sommeil depuis plusieurs semaines, bientôt quelques mois. L’été réveillera la bête éditoriale, s’il est encore temps, je l’espère.

Dimanche 14 mai
Je suis ce soir encore chez les F. Adorablement reçu depuis samedi soir, j’ai prolongé le séjour avec leur approbation. Le père m’a tout de même lancé ce soir, avec un petit sourire : « Ca vous arrive souvent de dormir chez vos élèves ? ». Et moi de répondre, « Non, je ne pratique pas ! ». Avec Elo, une amicale complicité qui en restera probablement à ce stade.
Le quinquennat va sans doute être prochainement adopté pour notre Vième République. La marque de Mac-Mahon aura mis plus d’un siècle à passer de mode.
Mes contacts avec le nord s’avèrent de plus en plus clairsemés. Mon ancrage lyonnais semble irréversible, mais ne jurons pas trop tôt : les impondérables ont souvent imposé leur loi dans mon existence.

Mardi 16 mai
Ce soir, vers 21h30, Elo m’appelle sur mon portable pour me demander les derniers conseils avant son bac blanc de français à l’écrit programmé pour demain matin. Je ne sais si l’idée lui a été soufflée par sa maman ou si sa seule initiative en est la source, mais cette manifestation m’a ravi. Je ne peux me rappeler à ses souvenirs sous peine d’apparaître comme un affectif pot-de-colle. Ici, au moins, l’épanchement ne regarde que moi. Je fais ce soir un voeu pour elle et penserai fort à cette délicieuse et follette demoiselle au cours de la matinée. Je me demande ce qu’elle a pu noter sur moi dans son embryonnaire journal : simples faits, analyses ou sentiments ?
Eu hier Heïm au téléphone : une santé peu réjouissante et des affaires moroses. Je dois relancer le traitement de quelques dossiers juridiques en suspens. Le troisième vendredi de juin, je me rendrai à Chaulnes pour rencontrer maître K. comme président de l’ADGN. (...) Je partirai ensuite rejoindre le château d’Au pour le week-end.

Mercredi 17 mai
Les Laurel et Hardy de la politique bouffonne, Pasqua et de Villiers, n’auront pas tenu bien longtemps l’apparente paix du ménage. Le gros tente le coup de rafle des pouvoirs exécutifs du mouvement ; informé du complot, le dégingandé dénonce les manoeuvres et s’essaie au sourire jaune. Cette mascarade se fait sous l’appellation gaullienne de RPF. Comment peuvent-ils se prétendre les dignes héritiers du feu Général alors qu’ils ne respectent aucun devoir de réserve et que toute dignité a disparu de leur enveloppe politique ?

Jeudi 18 mai
Envoi par e-mail à Karl des années 91 à 93 de mon Journal pamphlétaire (titre général retenu, Un Gâchis exemplaire concernant les années 91-99). Il pourra les imprimer pour Heïm. Ce soir, poursuite des corrections sur ordinateur de l’an 94 et adjonction de quelques correspondances.
Le sérieux Balladur a lui aussi perçu la «mascarade» (terme utilisé par un député balladurien) que représente la désignation du candidat à l’élection municipale de la convoitée Lutèce.

Dimanche 21 mai, 1h
Une dégoûtation de tout. Je ne dois être fait que pour le néant définitif. Le monde m’incommode et je n’y serai jamais à mon aise. Vivoter en solitaire sera ma croix.
Je m’illusionne pour peau de zob. Je devrais me mouler d’un stoïcisme profond et ne m’attacher à rien.

Lundi 22 mai
Dimanche en fin d’après-midi, passage chez les F. pour la cueillette des cerises. Très agréable moment, notamment lorsque la follette Elo a délaissé ses textes d’espagnol pour s’associer à l’action. Moi planté au bas de l’échelle pour sécuriser l’assise, elle s’est risquée à braver son vertige. La maman, adorable, sachant mon goût pour les clafoutis (mon enfance au château en est emplie) s’empresse de nous en confectionner un pour le repas du soir. Avant mon départ, elle m’emballe une part et me donne une boîte bondée de cerises. Mon week-end, débuté dans la morosité solitaire, s’achève par le baume reconstituant de cette escapade à Saint-Cyr.

Mercredi 24 mai
Visite éclair hier soir tard de Sandrine qui avait un rendez-vous pseudo-galant à Lyon. Elle me narre les dernières péripéties de sa tentative d’amorce sentimentale avec un certain Benoît. Notre conversion amicale s’avère plutôt une réussite. Par ses confidences, je me sens presque investi d’un rôle fraternel bienveillant.
Je croyais avoir assisté aux plus pitoyables bouffonneries politiques, et les pages de la dernière décennie en portent traces abondantes, mais la «mascarade» (terme en forme d’euphémisme du sympathique Tibéri) de la désignation du candidat étiqueté RPR, pour les municipales, dépasse allègrement mes échelles de mesure. Les Balladur et de Panafieu n’étaient en lice que pour la galerie médiatique et pour faire croire à un semblant de pluralisme dans la pétaudière du Ramassis Pour la Rigolade. Ils l’ont bien vite compris et se sont retirés avant l’humiliation vexatoire de se voir ravaler à l’alibi décoratif. A voir et à entendre la tête à claques d’Alliot-Marie annoncer, avec une sérénité flageolante et de parade, que le cerneux Séguin se distinguait pour être le portefaix des couleurs clownesques du RPR, on pouvait avoir des doutes sérieux sur l’apport spécifique prétendu des femmes en politique. La langue de bois de la présidente de ce parti apparaît pour le moins aussi chargée que celle des hommes.


Jeudi 25 mai, 0h05
Vendredi, départ pour une villégiature studieuse de trois jours à Genève : nouvelle aide à Shue pour le rédactionnel de sa thèse.
Ce jour, visite éclair à Elo pour l’entraîner à l’écrit et lui rappeler les outils minimum à maîtriser.
La petite grosse d’à côté est revenue. Fait chier.

Samedi 27 mai
Arrivé depuis vendredi soir dans l’enceinte fortifiée de gros sous, Genève. Shue et John, adorables hôtes, me convient à découvrir la ville. Alors qu’ils s’en vont choisir la bague de mariage, j’aspire les quelques rayons de l’astre sur la terrasse du Lacustre. Les moineaux règnent ici en maîtres, sans crainte de piocher les miettes et morceaux de frites des convives. A quelques centimètres de moi, une dizaine de ces petites têtes m’interrogent sur ma capacité à leur faire quelques dons. Nous tenons, pour eux, le rôle de ces gros mammifères sur lesquels des piafs s’alimentent en totale entente, selon les principes du bénéfice réciproque. Pour nous, le plaisir de les voir déguster à quatre un bout de quignon ; pour eux, un festin permanent à portée.



Mardi 30 mai
Découverte dans un film d’Ettore Scola d’un Gâchis, Journal d’un homme raté. Le grand Vittorio Gassman campe l’aîné d’une tribu. Son frère lui confie ce manuscrit qui se révèle « superbe » après quarante années délaissées au fond d’un tiroir. Par négligence, le personnage incarné par Gassman n’a pas jugé utile une lecture préalable. Par souci égocentrique, m’éviterais-je cet oubli regrettable ?
Les faux fracas de la tête à claques d’Alliot-Marie, avec menacettes en avant, entretiennent le champ de ruines du RPR. Le brave Tibéri ne s’en laisse pas compter et stigmatise l’absurdité d’une éventuelle décision d’exclusion. La mélasse politique torchée par Big Media parvient, avec le parti décharné du président déphasé, à la plus écoeurante recette. Mouvement à gerber au plus vite.

Mercredi 31 mai, 0h30
Petit film scientifique sur les secrets du soleil. Magnifique découverte de l’histoire de cette quête de connaissance sur l’astre. Une mise en perspective du colosse en fusion-ébullition qui relativise tout le reste. A ces échelles, l’histoire de la terre, n’abaissons même pas l’angle à l’humaine, n’est qu’un épiphénomène. Quelle beauté saisissante que ces éruptions solaires, ces tempêtes magnétiques, ces forces incommensurables qui se déchaînent. De ce chaos, toujours recommencé, les neutrinos en nombre astronomique permettent la vie. Une grande leçon de modestie, d’humilité lorsqu’on songe à la fragilité inouïe de notre système solaire et à l’ordonnancement du tout. Si l’humanité avait un tant soit peu l’objectif de perdurer sur une durée infinie, elle devrait s’exiler d’ici un à deux milliards d’années dans un autre système, le nôtre étant voué, après la fin en forme d’apogée du soleil, à devenir une naine blanche. Certes les durées avancées sont hors de l’échelle humaine, et semblent absurdes à évoquer. Il convient toutefois d’en être au moins conscient, ce qui fait la caractéristique de notre humanité. Impossible maîtrise, mais conscience du tout.

Jeudi 1er juin
9h51. Décision d’aller pousser sur mes pédales dans l’ensoleillé parc de la Tête d’Or. Je découvre la roseraie au summum de sa magnificence. L’enchantement des couleurs en fête, les pétales de chaque fleur étirent leur velours sur l’impulsion d’une luminosité sans voile, les parfums m’étourdissent, la beauté de la vie dans sa plus évidente expression. Pour parachever le tableau, un écureuil traverse l’allée sans précipitation, en harmonie avec les lieux.
11h20. Partie animaux. Face à moi, le girafon né il y a quelques temps, bien entouré par trois têtes hautes. Moment de sérénité par les gestes lents que cette famille nous offre.
19h15. De retour au bercail, rue Vauban. Cette journée était-elle marquée par les bons auspices à mon égard ? Affalé sur la pelouse des ébats dans le parc, une jeune femme, grande et belle brune, s’installe à quelques dizaines de mètres de mon emplacement. Malgré la distance, échanges de regards, visiblement je ne la laisse pas indifférente. Pessimiste de nature, je relègue cette partie de séduction visuelle aux nombreuses avortées dans l’œuf. Les circonstances semblent me donner raison lorsque je la vois faire ses affaires pour partir. Ours timide, je ne me décide pas à tenter l’abordage. Scrogneugneu, renfrogné, je m’apprête à replonger dans le Journal de Polac, lorsque je la sens s’approcher de mon territoire éphémère et me proposer, avec un grand sourire, d’aller boire un verre. L’évolution des moeurs à tout de même du bon. Echanges fructueux : commerciale de 25 ans dans le secteur de la microbiologie alimentaire, Géraldine est célibataire depuis deux mois, d’origine nantaise et déterminée à rester dans la capitale des Gaules.
Nous devons cumuler ce soir dîner et ciné. Agréable perspective.

Samedi 3 juin
La belle baudruche que cette soirée. Gonflée au point de négliger la méfiance de sécurité. Je devrais moins m’épancher, jouer le mystère, ne pas trop laisser entrevoir mon enclin pour la demoiselle. La charmante a dû prendre peur, à moins qu’un aspect de moi lui ait déplu. La soirée s’est pourtant excellemment passée, au point que le ciné a été annulé au profit de la conversation partagée. Des signes d’une imperméabilité toutefois, et la promesse d’un appel qui n’a pas eu lieu, m’inclinent à ce pessimisme. Nous verrons si elle se manifeste d’elle-même dans la semaine qui vient. Sinon, adieu les espoirs. Nouvelle désillusion. Je les concentre sans pareille. Peut-être une passion incons­ciente.
Elo reçoit son petit ami ce week-end. De tous côtés, je ne peux me tourner que vers moi-même. Retour cette après-midi sur les lieux de la baudruche relationnelle, la verte des ébats, mais l’humeur maussade, prêt à embrocher à coups de lattes le premier trouduc qui s’aventurerait à me faire de l’ombre. Dans le crime et son euphémisme, la violence, la passion peut s’exprimer sans dépendance de l’autre et de ses tergiversations.
23h57. Encore quelques minutes en solitaire pour que disparaisse ce samedi soir.
Vu Fantasia 2000, cette tentative de fondre en un même mouvement la musique classique et l’imagination animée. L’entrée en matière et le dernier acte sont les plus réussis. Pour débuter, le ballet de cachalots s’étirant entre abysses pastélisés et cieux régénérés. Surprenant accord des tons musicaux et visuels ; la charge fantastique des mouvements enivre chaque parcelle qui s’anime pour une démultiplication esthétique. Pour achever les pérégrinations disneyennes, une allégorie sur la vie, la mort et la renaissance. Demoiselle la Vie, bouille angélique et tignasse enchanteresse, est confrontée aux débordements en fusion du sieur Volcan, projeteur d’incandescences mortifères. Cependant, l’espoir subsiste et la frêle sauvageonne, presque éteinte, renaît grâce à l’attention d’un cerf, témoin du cataclysme. Plongée dans la pureté qui permet de renouer avec quelques indices salvateurs.
La destination suivante est moins ragoûtante pour la transparence vertueuse : le chaudron du VIP, section bar branché, laisse tout le loisir de s’acclimater aux parades artificielles.
Si Tony Blair joue les pouponneurs de progéniture, Jospin n’a pas échappé au congrès des réformateurs, en compagnie, entre autres têtes importantes, du Bill pour rire et du Schroeder pour cracher. Le tableau des sérieux de la classe semble totalement inutile pour la marche capotante de l’humanité. Tour de cirque, tout au plus, avec luxe de moyens pour tenter de crédibiliser la réunion.
Le fric, quoiqu’en disent les bons esprits, reste toujours le meilleur ouvreur de donzelles. En ce lieu, à 0h34, les odeurs d’infatués remontent ; ça renifle le gras-double content de lui parce que bien entouré.
Ma triste compagnie décourage certainement, et l’impossible rayonnement financier me voue immanquablement au néant sentimental. Je juge l’alentours, voilà ma seule ch’tite médaille.
L’affaire Géraldine me pèse encore. Pourquoi cette déficience d’honnêteté : me fixer nettement les points de repoussoir. Je dois être le seul, dans ce bar, à n’avoir que moi pour interlocuteur. Je ne cherche pourtant pas l’originalité à tout prix. Ma croix se niche dans cette perdition en solitaire. Le déphasage, une maladie psychique ? L’inadaptation aiguë ronge mes jours. Les simagrées de chacun, le cinéma de chacune renforcent mon détachement. Mon masque de haine ne peut en aucun cas susciter un intérêt.
Il me faudrait profiter de cet imparable isolement pour triturer le mot, faire naître une forme d’expression jamais expérimentée, souiller toutes les excavations digressives et charcuter avant tout.
La devise du cloaque : « Ne vous affligez pas de n’être connu de personne mais travaillez à vous rendre digne d’être connu... ». Le comble du petit snobisme local à la parade prétendument importante. Je réponds tout de go : ne vous enorgueillissez pas d’être connu de la plupart... c’est du pur pipeau d’enculage. L’outre tombe me convient mieux.

Lundi 5 juin
Une sacré pétasse, l’illusionneuse du parc ! Dépité ? Oui je le suis et je m’étale en ronchonnements.
Ce soir, le chiqué Chirac a joué au Gardien des Institutions devant les deux têtes du Big Média Vingt Heures, Poivre d’Arvor et Sérillon. Le quinquennat va occuper tout ce beau monde politico-médiatique jusqu'à l’automne : une poussée avant l’été, un branle-bas de résonance pour la rentrée 2000 et le référendum d’octobre. Le charme douteux des cohabitations sera révolu par l’alignement des mandats présidentiels et parlementaires. A moins que le bon pôple, très vicieux ou désireux de retrouver ces instants rassembleurs, élise un candidat à l’Elysée et une majorité parlementaire du bord opposé. Rien que pour embêter tous les doctes constitutionnalistes et pour rabougrir a posteriori tous les arguments des défenseurs de la réforme, on peut espérer cette absurdité politique.

Jeudi 8 juin
Perte pour la truculence et la gouaille, le Dard coloré ne fouillera plus les potentialités supercoquelicantieuses de la langue française. Sans Frédéric, San Antonio va tournoyer dans le vide au-dessus d’un nid de cocus.
Ma boulimie d’aventures rabelaisiennes du couple Bérurier-San Antonio remonte à mes 10-11 ans, au château d’O. ; des piles entières étaient à ma disposition. Les passages « sexe » attisaient le cochon qui grognait en moi.
Je n’ai pas été fidèle à cette plume acérée suite à des rencontres littéraires plus nourrissantes et à mon rejet (trop systématique, j’en conviens) des oeuvres d’imagination.

Mardi 13 juin
Ce soir, passage place Bellecour pour assister au Live Music de Shola Ama, puis du rejeton de Johnny. De belles lumières, mais une foule nauséeuse. Je me suis éclipsé avant la fin pour éviter la cohue incontrôlable.
Vu Elo une dernière fois aujourd’hui avant son épreuve écrite de Français. Je fais un voeu pour elle. Inextinguible affection pour elle. Sa vivance illumine nos plages de travail.
Amorce de complicité charnelle avec une Nathalie, infirmière, et envoi d’un courrier à une Anna de Juan-les-Pins, en cinquième année de médecine, toutes les deux connues via internet.

Jeudi 15 juin
Arrivé ce soir sur les terres lutéciennes, je passe la nuit au 57 quai de Grenelle, chez Shue. John est présent, et je découvre les photos de leur mariage civil qui s’est déroulé le 10 juin dans la mairie du quinzième arrondissement. Cérémonie réduite au minimum, juste pour que le lien légal existe : la consécration véritable aura lieu en septembre à Monte-Carlo.
Demain, levé à 5h30 pour rejoindre Laon par les rails : début de journée au t.a.s.s. dans l’affaire sci v/ urssaf (volet majorations de retard) puis, en fin d’après-midi, à Chaulnes avec Me K. pour l’état des lieux de la fameuse Maison blanche ou Banque (en référence à l’établissement de crédit l’occupant préalablement) qui accueillit la déliquescence de beaucoup d’entre nous. Le bail emphytéotique conclut entre l’Adgn et Alice a été jugé inopposable au Crédit foncier qui tente de récupérer le bien. L’affaire a toutes les apparences d’un sac de noeuds malodorants.


Lundi 19 juin
De retour du château pour Lyon, via une nuit chez mon pater. La propriété m’a présenté ses plus feuillus atours et l’air ne s’encombrait d’aucun voile ternisseur de couleurs. Après deux mini-repas-catharsis avec Heïm, lors desquels ma tenue de l’alcool s’est révélée faiblarde, le dimanche s’est centré sur la visite de Hermione et V.

Mardi 20 juin
La faute à cette écrasante chaleur, mes transcriptions s’affadissent de plus en plus.
Lors de mon voyage en TGV (retour à Lyon), une caressante rencontre avec une grande et pulpeuse algérienne, ma compagne de rail. Attouchements de plus en plus appuyés de nos bras nus, pieds et cuisses accolés, sous l’alibi d’un sommeil prenant au départ, puis plus franchement par la suite. Je finis par lui laisser ma carte avant tout échange de paroles.
Elle réside depuis un mois à Paris (rachat d’un bar dans le 17ème) et va visiter sa sœur à Bourg-en-Bresse. Je suis d’ores et déjà invité chez elle lors de mon prochain passage à Lutèce. L’alchimie dense de cette attirance réciproque aurait pu se traduire, si la configuration l’avait permis, par une sexualité sans bride...

Mercredi 21 juin
Pas de sortie nocturne pour ce premier jour de l’été. Aucune manifestation musicale programmée n’a retenu mon attention pour me motiver à sortir de mon antre.
Au-delà de lui...
Oublié de noter mon sentiment général sur les pages choisies du Journal de Polac que j’ai achevé au château : si l’on trouve des passages savoureux, profonds, désespérés et tranchants, la tonalité du diariste n’est pas reproduite du fait de cette sélection. On ressent même parfois l’impression d’un conglomérat de pièces éparses d’où ne s’échappe aucune unité authentique. Passages fabuleux par la clarté de la langue, la qualité de la relation : les aventures de Cricri, de la Grande Sauterelle, etc., autant de bestioles blessées recueillies par Polac et sa Z., je crois. La profondeur de propos simples atteint des sommets.
Je continue à voir mon élève préférée, Elo, pour sa préparation à l’oral de français. Tellement attachante.
Reprise de contact téléphonique avec Flo J. après son envoi, depuis l’Egypte, d’une carte postale. Je la croyais fâchée contre moi, pas du tout.
Lundi soir, nuit chez mon amante-infirmière, Nathalie. Découverte progressive de son potentiel sexuel.
Vu Lang chez Big Média, en pleine défense de son projet de réforme des... primaires. Là, au moins, il ne risque pas de faire sortir les élèves sur le pavé.

Vendredi 23 juin, 0h50 env.
Hier soir, dîner chez les F., après avoir consacré ma fin d’après-midi à l’infatigable Elo. Malgré mes trente berges bien sonnées, je reste naïf dans l’image que j’ai de certaines jeunes filles qui devraient correspondre à l’impression physique qu’elles donnent. Le cas d’Elo s’impose. Entre ma première vision d’elle très sérieuse, magnifique et réservée dans le bus 31 et la follette presque délurée que je découvre, un gouffre. Elle peut d’autant plus se permettre des écarts que rien dans sa silhouette et dans l’attitude dont elle peut se grimer ne le laissera transparaître. Le bon dieu, les anges et la vierge Marie qu’on lui donnerait à cette divine diablesse.
Aujourd’hui, son père a failli perdre la vie en voiture, manquant de peu l’écrasement par un vingt ou trente-six tonnes dont la remorque s’est renversée dans un tournant, en sens inverse. Le souffle du frôlement a fait exploser sa vitre avant gauche. Son instinct lui a très justement dicté de rouler sur le talus et d’accélérer. Seule solution pour s’en sortir. Vingt tonnes de couches-culottes sur la tête n’auraient laissé aucune fuite de vie.
Mardi 26 juin, 0h30 env.
Avant dernier jour de cours donnés pour la préparation de l’oral de français. Elo passe aujourd’hui à 16 heures. Petite pensée pour elle.
Je vais enfin pouvoir me consacrer au Gâchis, années 96-99. Mon été s’annonce studieux, pour ne pas changer, mais pauvre en revenus. Le séjour d’août prévu à côté de Biarritz est annulé (Karl ne pouvant pas prendre de vacances). Je m’accorderais une semaine pour visiter ma grand-mère à cette période.
A moins d’un coup de foudre transcendant, ma morne existence ne décollera pas.

Jeudi 29 juin
Mort de Vittorio Gassmann à 77 ans. Avec Ornella Muti, mes deux figures italiennes préférées.

Vendredi 30 juin
Nouveau rythme pour une lourdeur estivale lyonnaise. Le mois de juillet doit me permettre de finaliser les corrections du Gâchis, de taper les années 96 à 99 et d’intégrer les interrogations de Sandrine à ma correspondance.
Hier soir, revu Isabelle M. que j’avais très injustement soupçonnée des pires intentions par son silence prolongé. Professeur de lettres modernes à l’université Lyon III (Jean Moulin) elle me propose de faire mes premiers pas dans l’enceinte universitaire publique : prendre en charge les travaux dirigés en expression-communication et peut-être en droit pour des étudiants d’IUT (section gestion et technico-commerciale, je crois). La rentrée prochaine risque donc d’apporter une nouvelle dimension à mes interventions. Une fois dans les murs de l’enseignement supérieur, toute opportunité relationnelle ne pourra que me servir.
Au café Leffe de la place des Terreaux, j’attarde mon regard sur les petits jets éclairés qui habillent l’étendue asphaltée. Là, au milieu de tous ces groupes, je m’estime d’une sérénité vacillante.
Ce soir, à son retour d’une semaine sur la côte méditerranéenne, Nathalie me rendra peut-être visite au sortir du train. Elle réchauffera ainsi mon nid nocturne.
Dimanche, Sally doit venir à Lyon et profiter de l’occasion pour dîner avec moi. Avec l’ambiance prévisible de l’Euro 2000 (France-Italie) la quiétude lyonnaise risque d’être fortement perturbée et mon agoraphobie, lors des vautrements populaciers, de rendre la soirée difficile. Je l’appellerai demain pour l’informer de cette situation exceptionnelle.
Vittorio Gassman, emporté par la Parque, a déjà son éternité d’assurée dans le patrimoine cinématographique mondial. Toutes ces figures incarnées, une capacité à l’excellence multiforme, quelques chefs-d’œuvre me restent comme des joyaux : une comédie où il virevolte dans la peau tannée d’un démon déjanté ; dans la teinte dramatique, ce personnage schizophrène entre le mari exemplaire, posé, brillant, de Catherine Deneuve, et l’autre, le fou à la pastèque que l’on cache au grenier et que le neveu découvre dans l’œil de bœuf. Une vision saisissante du malade qui tire la langue et se repaît du gros fruit juteux. Me manque les deux titres.
Le grand cirque des gesticulations ambiantes n’en est que plus dérisoire. Ça beugle dans tous les coins et je me saoule de musique pour atténuer l’insupportable. Les notes rythmées canalisent mes pulsions dévastatrices.

Aucun commentaire: