Janvier

Lundi 3 janvier, 1h du matin
Un peu haché, voire à chier, le suivi... Un 31 improvisé à Chaponost, chez une jeune femme, jaf de son état, amie de S. qui m’y avait emmené...
Quelle médiocrité dans toutes ces interventions écrites. De la piètre relation d’épiphénomènes sans intérêt. Ne suis-je pas tout simplement en cours d’affadissement, sans relief pour réagir avec puissance, créer un style sans précédent, avoir une once d’ambition en ce début de millénaire. Mes petites crottes se perdront dans le néant avant même d’avoir existé.

Dans l’introduction de la nouvelle édition du Journal de Léon Bloy, l’exégète rappelle les critiques dont fait l’objet le « genre diariste », et ce pour mieux démontrer la sublime exception bloyenne. Mon cas est bien plus simple : je suis vautré dans ces travers sans pouvoir transcender le quotidien narré sans suivi. Je devrais les faire figurer au fronton du Gâchis exemplaire ces lignes contre le Journal (intime).
Passé une bonne partie de l’après-midi du dimanche à envoyer mes voeux pour 2000 sur des cartes reproduisant des aquarelles sur Lyon. Un premier envoi d’une trentaine d’enveloppes partira aujourd’hui.
[...]

Mardi 4 janvier, 0h48
Le Cave se rebiffe d’Audiard berce ma nuit et je tente à nouveau la cohérence ici.

Les tempêtes nord et sud ont fait près de 90 morts en France, des arbres abattus par dizaines de millions, des dégâts (immeubles, toitures, edf, Télécom) par dizaines de milliards. A cette tragédie doit se rajouter la pollution sur les côtes françaises (l’île de Ré, comme 400 km de littoral, a été touchée). Une fin d’année entre gluant et venteux !
Cette vie file à toute allure et je semble me recroqueviller sur une bien modeste dimension. Le célibat ne m’incite pas à me battre pour dépasser une condition certes peu reluisante, mais où le confort de l’indépendance n’incline pas à changer. Je n’éprouve aucune poussée ambitieuse : je ne conduis pas, ma carrière professionnelle se réduit à peu de choses, aucune histoire sentimentale à construire en vue... me suis-je définitivement englué dans une quarantaine panoramique ?
Même Hisloc, si précieuse pour mon statut social (éditeur !) ne décolle pas, s’enlise même dans un chiffre d’affaires annuel qui ne correspond même pas au salaire d’un cadre moyen sur un an. Pitoyable !
Avant de sombrer dans l’insignifiance la plus dérisoire, j’aurais peut-être l’inspiration de laisser un témoignage de tout ce qu’il ne faut pas être. « Handicapé de la vie » disait un personnage de cinéma (réf. qui m’échappe) : cela me colle bien... Un potentiel premier impossible à faire fructifier et un contentement du médiocre. Sans doute est là l’explication que je n’attire pas les femmes de qualité, et que je ne puisse envisager une vie duale construite. Triste sort d’une solitude auto-destructrice.
Le cédérom Encarta est un véritable bonheur pour la connaissance tous azimuts. Un lien avec internet peut s’opérer directement ce qui ouvre d’autant plus l’information sur tous les sujets imaginables.
Mes cartes de voeux sont parties hier... nous verrons bien les réactions... De là, je pourrais affiner mon tri des vrais et faux amis, accointances et relations... Les coupes franches risquent d’être conséquentes.

Mercredi 5 janvier, 0h24
Appel de Heïm pour me remercier de mes voeux laissés sur le répondeur et pour me souhaiter les siens. Ma carte n’était pas encore arrivée.
J’ai fait une deuxième vague (plus réduite) d’envois hier. [...]
Hisloc végète : mon dernier titre, malgré une bonne implantation libraires, n’a pas connu de ventes spectaculaires pour Noël. Une des causes importantes : l’absence de presse. Hormis Lyon cité (magazine mensuel de la mairie) et un passage éclair sur tlm, aucun des journaux phares du département, notamment Le Progrès de Lyon et Lyon Figaro, n’a daigné passer un article sur ma réédition d’un document exceptionnel (recommandé par Louis J., ancien président du CRDP) qui concerne au premier chef la région. Lamentable snobisme ou je-m’en-foutisme régional ?
Tout comme l’absence totale (hormis l’entrefilet) de soutien financier de la mairie : face à un ouvrage sur Lyon écrit par un auteur d’origine anglaise, réédité par un ancien parisien (moi !), les lyonnais municipaux n’ont pas été sensibles au sujet...

Samedi 8 janvier, vers 1h30 du matin
Sombre ambiance dans le magasine de la mer de G. Pernoud, Thalassa, et ce malgré les nouveaux générique et décor. L’explication ne tarde pas : les images toujours plus révoltantes de la pollution occasionnée par Total-Fina via l’Erika, cette ruine voguante sous pavillon de cons très très déplaisants. (Malte je crois, île que l’on devrait engluer de merde...) Voir la côte sauvage (les plages et les criques du Croisic notamment) dans cet état donne la nausée et révolte au plus profond. Chapeau bas pour tous ceux qui nettoient. Ma précarité ne me permet pas le déplacement, et je le regrette bien.
Nouvelle illustration de la néfaste mondialisation hors tout cadre juridique imposé pour éviter, par exemple, les pavillons de complaisance légalement admis !

Mercredi 12 janvier (depuis peu !)
Cela devient habituel de délier la plume à la première heure d’une journée, juste avant de rejoindre des songes incontrôlés.
Reçu quelques gentilles réponses à mes voeux : Sophie B., Hermione & V., Flo & sa sœur, François C., TLM via Nadjette M... et même Madeleine C. qui semble ne pas avoir retenu ma séparation avec Sandre (qui m’a également écrit). Coup de tél. de Florence P. et Vania C. Un début correct.

Vendredi 14 janvier, (0h et des poussières)
Ma chère Aurore (je correspond par e-mail avec sa charmante sœur Agnès, mariée et installée aux USA) a répondu par une très gentille carte à mes voeux. Etait jointe une jolie photo d’elle (bien qu’un peu floue) tenant un bébé (de... je ne sais plus qui). Pour un premier amour, le choix s’imposait comme une muse d’exception : quel ravissant visage, des yeux d’une pétillance adorable et un sourire discrètement coquin.
Pas de nouvelles de Shue, malgré deux e-mails envoyés ainsi que mes voeux par carte. Je tenterai demain le tél.
A tous les journaux télévisés, les images effroyables des côtes françaises engluées par le pétrole. L’atteinte au patrimoine naturel devrait être sévèrement sanctionnée : la mollesse prévaut. La multinationale française Total porte, certes, une responsabilité déterminante ; mais le système des pavillons de complaisance implique la communauté internationale comme on désigne abusivement les Etats livrés à la guerre commerciale.
Je n’ai plus la hargne vengeresse des débuts... Ce Journal sent parfois la crème rance... Même sur ce plan je m’affadis... Rien, je ne laisserai rien !
11h55 : coup de grogne contre ma tronche psychologique. Je vis dans une grande ville, mouaip !, mais en fait je suis tout à fait retiré du monde. Décalage d’attardé, d’inadapté à cet enfer. Comme on s’amuse...

Dimanche 16 janvier, env. 3h du matin
L’habitude des quelques mots jetés, l’œil au ras de la page, pour cause de myopie sans lentilles, prend quelque consistance.
Soirée sympathique (mais sans plus) avec quelques accointances lyonnaises issues du cercle approché au jour de l’an : la boustifaille moyenâgeuse de La Table des Echevins servit de point de rassemblement. Ma conviction s’ancre : je ne dénicherai pas d’âme sœur dans ce réseau. Pas de qualité suffisante. Désespéré mais difficile, le gars !
Au-delà de lui...
A propos de désespoir... Je me reconnais de plus en plus dans l’attitude intellectuelle de Polac. J’attends son Journal avec impatience. Son passage chez Pivot a confirmé mes affinités : même tentation d’autocritique, de « haine de soi », même désespérance misanthropique, même « maladresse ». Mon point fort reste toutefois un authentique ratage de mon existence et un anonymat absolu. Aucune source de réjouissance pour moi, donc, alors que l’ami Polac peut afficher un beau parcours. Cela me pousse à poursuivre ces brouillonnes annotations, quitte à noircir complaisamment mon portrait.
Il m’apparaît qu’à trente ans, je suis comme retiré du monde, incertain en tout, inutile à tous. Cet ermitage lyonnais me sied bien, car il me ratatine à ma piètre valeur. Je m’achève sans difficulté.
Lorsque la franchise avec soi-même s’impose, je peux avouer que les facilités relationnelles qui combleraient mon goût de la séduction me porteraient vers les plus médiocres donzelles, mais que la trouille vaut en l’espèce garde-fou.

Lundi 17 janvier, vers 1h30 du matin
Déjeuner dimanche midi chez Bruno et Christine, couple que Sandre m’a fait connaître. Leur fille Nolwenn (22 mois) est adorable.
Sur le parcours en métro, deux tasspê ont indirectement tenté l’amorce de drague à mon égard. Je pouvais entendre les bribes d’une fausse conversation dont le contenu devait amorcer ma réaction : « Il n’est pas mal, non ? », « Mais il a eu la varicelle ! » - probable allusion aux quelques marques sur mes joues - « Il a l’air triste », « C’est peut-être parce qu’il est seul ». Je n’ai rien relevé, trop peu d’intérêt pour ces pisseuses et rendez-vous à honorer. Pourtant, le cul se fait rare en ce moment. Je compense... Coupe franche dans les amantes, plus de nouvelles à ceux qui n’ont pas daigné répondre à mes voeux : ça éclaire bien le paysage. En tête des connards à évacuer : le susceptible Jean-Philippe D. et sa pitoyable réaction.
Les relations avec Sandre se sont bien distanciées. Dans ses délires relationnels, elle présente beaucoup moins d’intérêt amical. Qu’elle se trouve un vieux plein aux as, ce sera parfait. Moi, je m’éclipse devant cette vase répétitive.

Mardi 18 janvier, 0h13
Ce soir, passage éclair de ma charmante voisine, Alexia A., étudiante en architecture, des cheveux bruns épais et magnifiques, un visage plein de santé... Elle voulait vérifier par mes fenêtres (qui donnent sur la place de l’Europe) qu’une bande de jeunes postés sur le parking ne s’en prenait pas à son auto. Peut-être finira-t-elle par répondre à mes invitations lancées depuis quelques mois... Bien agréable présence en tout cas...
Le drame pour nombre de Français qui ont tout perdu avec la tempête... Un outil de travail et un passé réduits à néant en une nuit. Ces cycles de nettoyage opérés par la nature (ne parlons pas de dieu siouplaît) ont en l’espèce un caractère hautement injuste. Ces gens courageux (dans le secteur primaire si difficile en soi), désespérés, ne sachant comment repartir, tout cela émeut. Je songe au château d’Au : si la tempête avait fait plus que l’effleurer, le drame d’une destruction totale, et non plus de quelques dégâts matériels, aurait imposé sa sanction. Faudra revoir mes formulations, car je dois fricoter avec l’expression incorrecte.

Petit message d’Angela C., l’ancienne amante du Con royal, très touchée que je lui ai envoyé mes voeux. Je ne suis pas si détesté ou boudé à ce point : une majorité de ceux à qui j’avais expédié mes cartes ont répondu, par voie écrite ou orale. Des silences qui m’attristent cependant : Marie-Pierre C., Karine V., Aline L. (mais espoir encore possible, puisqu’elle réside en Angleterre, délais plus longs) ; à Lyon les couples G. et M., et Isabelle M. que ma proposition de relation amant-amante n’a pas séduite.
Ce matin, coup de gueule téléphonique au siège parisien d’Acadomia pour obtenir les reliquats de paiement en suspens depuis octobre et aggravés avec janvier. Cela semble avoir été efficace, mais attendons de recevoir les règlements promis. Cela fait en tout cas beaucoup de bien de laisser exploser sa fureur. Comme un grand rire...
Reprise de mon travail de thèse ce soir : conversion et nettoyage des différents fichiers utiles et début de répartition des citations au sein du plan. Je dois me résoudre à en faire un peu chaque soir, et un peu plus le week-end. Le sujet me passionne, et ce serait un inadmissible gâchis de laisser filer le temps. Tout comme la tenue de ce Journal, aussi médiocre soit-il, qu’il témoigne de la seule chose que je puisse continuer à faire par pure inclination : l’écriture.

Mercredi 19 janvier, 0h40
Souhait réalisé, mais réserve gardée. Hier soir, Alexandra (et non Alexia) A. répond à cette vieille invitation à boire un verre chez moi. Ma voisine s’avère effectivement très charmante et la conversation sur ses techniques de dessin en architecture très agréable. J’espère que ce ne sera pas notre seule entrevue.
12h35. Je viens d’assister à un très touchant témoignage de Pierre Botton, homme d’affaires ayant passé plus de six cents jours en prison. Il relate les conditions effroyables de détention, soutenant en cela les dénonciations faites par une « femme d’exception » (selon ses termes), médecin-chef dans une des prisons françaises.
Un manifeste signé par plusieurs personnalités ayant goûté aux barreaux (dont Bob Denard) doit sortir demain dans un hebdo. Le Nouvel Obs, je crois.
Un grand moment de télévision dans le 12-13 de France 3 : une sincérité brute ce M. Botton.

Samedi 22 janvier, 9h29
Ai commencé le Journal (extraits choisis par Pierre-Emmanuel Dauzat) de Polac ainsi que La supplication - Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse de Svetlana Alexievitch qu’il considère comme une des œuvres majeures de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, les témoignages des victimes de cet « accident » nucléaire sont bouleversants, prennent aux tripes et surpassent dans la sincérité et le drame transmis tout ce que j’ai pu lire jusqu'à présent, y compris les écrits des rescapés de la Solution finale. Le crime technologique, nucléaire en l’espèce, me semble pour le moins atteindre l’humanité dans sa survie même, et globale, sans substitution d’une race à l’autre, d’une caste à l’autre, comme le projetaient les quelques illuminés du XXe (Hitler, Staline and Cie) qui laisseront une trace bien plus marquante et durable dans la mémoire collective que celle des bienfaiteurs de l’humanité. Une volonté de les garder au pinacle de l’intérêt historique pour l’exemplarité ou penchant irrépressible de chacun d’entre nous pour ce qui détruit, tue, anéantit ? Une fascination morbide pour ceux capables d’atteindre l’autre dans sa chair, avec parfois en prime un don pour déstructurer l’esprit de son prochain.

Lundi 24 janvier, 1h05 du matin
Sérénité nocturne au cœur de Lyon pour se laisser aller au nombrilisme décrypteur. Le décalé : ce titre me va bien. Animé par aucune ambition financière ou de détention d’un pouvoir, mais soucieux de paraître, une des nombreuses contradictions d’une personnalité tourmentée, j’assure le minimum pour que la survie ne paraisse pas trop miséreuse. L’envie de construire semble se limiter pour moi à l’opportunité d’être le témoin si possible lucide des occasions manquées. Le temps qui défile aura raison de tous mes fantasmes initiaux : point de gloriole, point de bonheur dual, et un isolement forcené pour mieux souligner mes limites. Lente autopsie existentielle, voilà une bien terrible raison d’être.
La fibre pamphlétaire ne semble même plus me transcender au regard des méfaits du monde. Est-ce pour éviter de sombrer dans l’obscénité du vieux révolté dénoncé par Bernanos ? C’est sans doute pour de moins glorieuses raisons.
Vu Sandre dimanche : elle semble aller bien, poursuivant ses pistes sentimentales, mais surtout s’apprêtant à devenir propriétaire d’un appartement dans une résidence de grand standing (avec piscine) en cours de réalisation par le même promoteur qu’au Domaine de Tassin et situé dans Lyon (cinquième). Déjeuner dans un excellent bouchon lyonnais. Nos rapports amicaux semblent parfaitement normalisés.
Elle m’a appris que Florence P. devrait s’installer avec son ami d’Afrique du Sud en Angleterre... Encore une belle demoiselle qui ne sera pas pour moi. Je n’aurai rien pour éclairer ma pitoyable vie.

Mardi 25 janvier, 0h30 env.

Le rendez-vous des commencements de journées se fidélise. Reste à déterminer le véritable intérêt de ces remplissages. Je songeais hier en posant ma plume, prétexte sans doute pour m’endormir plus vite, au sujet que je pourrais bien traiter si je m’engageais dans l’écriture d’un roman, ou d’une espèce approchant ce genre. Rien de bien net ne me vint, si ce n’est un penchant pour le charcutage intime plutôt que la fresque dépaysante. Pas d’évasion pour moi. J’ai choisi mon mode d’enfermement et je m’y tiens. L’histoire des tourments d’un décalé, en proie à ses incessantes contradictions, à ses minantes tergiversations, démotivé par toute idée de carrière, étranger au monde qu’il voudrait pourtant séduire dans l’instant et marquer pour quelques temps.
Voilà un projet qui m’aidera à m’endormir cette nuit.

Mercredi 26 janvier, 0h30 env.
Eu Monique au tél. ce soir. Elle m’apprend que la vieille
Belle, chienne adorable d’une douzaine d’années, est morte il y a une semaine. Une fin douce par une extinction cérébrale. De même, le mythique Gounouche de Hermione, chat proche de vingt ans et malade depuis bien longtemps. Des pans entiers de mon existence semblent s’évanouir avec ces chers animaux. Je repense aux chiens Ouarin (qui a partagé une partie de l’épopée de Heïm), Tual si intelligent et ayant participé à tant de mes jeux lors des rosées matinales au château d’O, féroce pour les visiteurs et les faibles agressifs (berger de Beauce croisé doberman ou beauceron... cela impressionne) et d’une telle affection avec moi... Une larme, une pensée pour ces si authentiques compagnons...

Février

Mardi 1er février, vers 0h30
Impression de brasser du vent en tenant ce Journal. Combler un vide d’existence qui n’a pour tout attrait que de renouveler la stagnation.
Vu dimanche (avec Flo J.) un joli film américain, Sixième sens, dont l’astuce du scénario en décuple la saveur. Bruce Willis confirme sa grande pointure ; le petit garçon magnifie l’atmosphère. r.a.s. pour le reste.

Jeudi 3 février
Bien curieuse existence qui anime ma vie. Soucieux de préserver cette indépendance qui me dispense de tout lien de subordination direct, je cultive une précarité ne permettant aucune construction.
Les semaines défilent : célibat et réclusion se systématisent.

Vendredi 4 février, 0h10 env.
Réveil prévu à six heures pour une journée chargée en cours particuliers à donner. Une activité de pis-aller qui assure mon autonomie et me permet une survie minimum. Mon isolement semble lui sans solution. Désintéressé par ceux (et surtout celles) qui s’intéressent à moi, sans intérêt pour celles qui ont ma préférence, je suis condamnée à n’être que spectateur de l’existence.

Encore une en qui je n’aurais pas dû avoir confiance : Isabelle M., professeur à l’université de lettres, à qui j’ai confié mon dernier exemplaire des Boyaux et qui s’est depuis volatilisée, changeant de numéros de tél.
Attentiste, contemplatif, je ne vois pas d’issue généreuse et épanouissante à cette vie médiocre dans laquelle je me complais. La justice n’a pas besoin de m’épingler : je me suis condamné tout seul.
La supplication m’accompagne dans mes déplacements par TCL Des témoignages qui parfois prennent littéralement aux tripes.
Internet incite à la débauche : bien plus facile de se connecter à un site pornographique (vu ce soir Kaléidoscope qui rassemble des photos de célébrités francophones (comme Adjani, Kaprisky, Caroline du Juste Prix, etc.) et étrangères (Demi Moore, des mannequins nues) qu’à un site culturel comme Gallica. Si les photos des stars et vedettes féminines apparaissent assez facilement, l’introduction aux Essais de Montaigne, dans son édition originale, peine à se dévoiler sur l’écran. La numérisation des pages (quinze millions de disponibles d’après leur accroche) favorise une rapidité d’exécution mais alourdit considérablement le transfert puisqu’elle fait de textes des images. Résultat : après trois pages demandées successivement (comprenant la couverture et la page de titre), l’ordinateur m’a informé d’un souci technique. Impossible d’aller plus en avant dans Michel de la Montagne. Dépité, je suis retourné renifler les monts mammaires et de Vénus des Béart, Cachou, Winter and Cie.
Voilà comment on fait des obsédés !

Samedi 5 février
Première petite escapade hivernale dans le parc de la Tête d’Or. Une journée magnifique pour sa météo, sereine pour ma psychologie. Lu quelques pages du Journal de Polac assis sur un banc vert. Ses états d’âme me touchent, mais sa sensibilité politique me laisse de marbre.

Dimanche 6 février, bientôt 1h du mat.
Un samedi soir de plus passé en solitaire. Une bien pauvre vie que la mienne. Démotivé pour tout, je laisse filer les années pour une mort certaine. L’âge venant, les regrets, les amertumes, les désespoirs rongés s’intensifieront.

Mardi 8 février, 0h17

Le réalisateur Claude Autant-Lara décédé il y a peu, France 3 diffuse sa fameuse Traversée de Paris.
Cour particulier donné en Français à une certaine Elo F. (en 1ère stt) qui réside à Saint-Cyr au Mont d’Or : magnifique jeune fille qui, par certaines de ses réactions, me rappelle Cathou... Très attachante, mais d’un caractère probablement invivable. Ce soir Flo J. m’a convié à l’accompagner aux victoires de la musique classique et du jazz qui se déroulent à l’Auditorium de Lyon. J’espère que le classique ne sera pas trop dominant.
Le terrorisme intellectuel sévit de plus belle en Europe après l’arrivée de Haider, de sa formation tout du moins, au gouvernement autrichien. L’hystérie gesticulatoire des pays de la CEE et des Etats-Unis témoigne du diktat idéologique régnant. Le dogmatisme démocratique finira-t-il par éclater ?
J’achève dans le flou (sans lentilles)...
Les merveilleuses tirades de Gabin dans La Traversée de Paris désacralisent les poncifs de tolérance envers les modestes : là et plus encore qu’ailleurs, les médiocres pullulent. La lucidité n’empêche pourtant pas la compassion et l’aide à l’autre : aujourd’hui, j’ai fait ma b.a. en relevant un clodo boiteux et puant qui venait d’entrer dans le bus.

Mercredi 9 février, minuit...
Levé à six heures (du moins réveil) pour deux heures à donner en philosophie. Mes semaines défilent et mes paupières se ferment d’elles-mêmes.
Vers 18h. Annonce d’un nouveau pseudo-adoucissant terminologique. Après l’infréquentable inculpé dont le sens en langage courant avait fait un sort révélateur, la mise en examen n’a pas vraiment redoré la virginité perdue du soupçonné. La sémillante Guigou, via le corps législatif, concocte une troisième mouture, le TÉMOIN ASSISTÉ. Question : est-ce vraiment un problème d’appellation ? L’inclination du voyeur lambda, le commun des mortels pour résumer, largement soutenue par le jeu de massacres des médias, porte, quelque forme que prenne la désignation, à condamner par apriorisme tout individu objet d’attentions investigatrices de Dame Justice. La prochaine étape de l’étiquetage du bougre visé devra-t-elle tenir de la fervente pré-réhabilitation ? L’innocent présumé pourrait convenir, ou mieux encore, « le pur de pur a été présumé innocent dans l’affaire x ».
L’Etat annonce une nouvelle cagnotte, selon le terme (encore !) plébiscité par Big Média, de trente milliards et quelques poussières de centaines de millions, après les vingt-quatre déjà annoncés en fin d’année dernière. Une santé économique du tonnerre qui a dépassé toutes les prévisions de rentrées fiscales. Affligeant d’entendre les politiques se chamailler sur le bon usage à faire de ce bonus : supprimer la taxe d’habitation, augmenter les minima sociaux, réduire le déficit public, aider le système de retraites, réapprovisionner les hôpitaux en personnel, ouf ouf ! On les sent bavant, essayant d’en récupérer quelques miettes au passage. Personne n’a eu le courage, le culot plutôt, de proposer ce qui arrivera sans aucun doute à une partie de la somme : grossir les fonds secrets, les caisses noires... enfin les marges de manoeuvres occultes de l’Etat.

Mardi 15 février, 1h du matin
Le lundi bien terne, hormis le très agréable cours donné à Elo F. Elle a vraiment du Cathou dans le sang, plus fine intellectuellement toutefois, et certainement mieux faite de corps. Tout cela reste fantasmatique et ne me fait rien construire. Mon semblant de vie est comme en apathie. Mon isolement (volontaire) s’accentue : désertification dans mes accointances et relations : plus grand chose ayant quelque épaisseur... plus grand chose tout court. La Saint-Valentin pour moi, c’est nib !
Nouvelle catastrophe écologique majeure en Europe de l’Est : empoisonnement par d’énormes quantités de cyanure (provenant de mines roumaines) de fleuves,
rivières, etc. Toute la chaîne alimentaire risque d’être mortellement touchée. Après Tchernobyl, nouvelle folie humaine...
Ce soir, un Dossier de l’histoire sur l’extrême droite en France : toujours les mêmes analyses, les mêmes stigmatisations, mais avec le sentiment en plus de parler d’un mouvement en passe de marginalisation suite aux éclatements divers. En revanche, une approche intéressante de l’antisémitisme présent jusque chez Gide ou Bernanos. Et tout mon univers littéraire : Céline, Rebatet, Brasillach, Léautaud, Drumont, Gobineau, Figuéras, Brigneau, Bardèche...

Mercredi 16 février, 1h du matin env.
Fidèle insomnie très provisoire et contrôlée pour gratter mon quadrillé.
Caractère de Yo-Yo de plus en plus. Mes résolutions se brisent face au total désintérêt pour la construction d’un projet de vie. Mener cela pour quoi, pour qui ? N’ayant que moi-même comme compagnon de route, je n’aspire plus à rien. Un nihilisme avachi et sans volonté de puissance.
En revanche, une détermination physique qui se renforce (je n’ai plus rien à perdre en quelque sorte, si ce n’est ma dignité, mon honneur...) et qui m’éloigne de toute appréhension d’un éventuel affrontement avec un casse-burnes. A un
connard visiblement éméché, la bouteille dans une main, la cigarette dans l’autre, le tout dans un wagon de métro, j’ai demandé l’extinction des feux. Refus décontracté du branleur : aux diverses conneries qu’il marmonnait, je lui répondis que les tripes, moi, je les bouffais directement et je lui demandai s’il n’avait jamais désorbité un œil. Je sentais les regards ahuris des voyageurs. Pour moi, le cran suivant de la détermination sera d’annoncer clairement les voies possibles au fumailleur : il s’exécute ou je le tue, avec calme et satisfaction.

Samedi 19 février, 1h15 du matin
Et si mon existence devait se réduire à ce défilement monotone des semaines, de cours en cours, sans aucune possibilité d’envisager une quelconque construction, la survie précaire étant l’unique et piètre obsession.
Autre solution, ou terrible confirmation de l’inéluctable avachissement en cas d’inaboutissement : se lancer dans l’écriture d’un récit atypique, avec un ton et un style inédit, dérangeant, sur le fil du rasoir. Mais quoi raconter : mes tourments, mes contradictions, la torturante destinée d’un homme ordinaire ?
Ce style, pourrait-il correspondre à une précision déjantée : non point le dégraissage des phrases réduites à une plate inconsistance, mais une exacerbation épurée d’un langage cinglant et imparable.

Dimanche 20 février, vers 1h15 du mat.

Un nouveau samedi soir en tête-à-tête avec mes zigues... me partageant entre Colombo (notre si attachant lieutenant de L.A.), internet et quelques corrections sur la thèse de Sandrine pour pouvoir imprimer une version correcte.
Je dois la voir cette après-midi, ainsi que la charmante Florence P. (qui s’exile à Londres avec son fiancé en septembre prochain).
Passage en coup de vent au château d’Au le deuxième week-end de mars pour les tâches fiscales annuelles.
Fréquence Jazz berce cet éveil forcé devant les petits carreaux du cahier... Je ne vais plus lutter, l’urgence d’écrire étant bien retombée.

Mercredi 23 février, sans doute minuit...
Une source de satisfaction pour mes cours particuliers : une élève que je suis, Julie K., jolie liane bien vive, et que j’avais aidée pour le commentaire d’un extrait de Tropisme (N. Sarraute) a été notée 18/20, une première pour son professeur qui a indiqué sur sa copie « Devoir remarquable ». Son bonheur et sa gratitude envers moi (comme de la part de sa maman) m’ont comblé.
Ce soir, lecture partagée entre deux diaristes : Polac et Léautaud, l’un et l’autre me nourrissant à des niveaux très différents. Polac par une identité de certaines réactions ; Léautaud pour la sérénité gouailleuse de ses notations.
Peu de rapport passionnel pour la lecture qui m’inclinerait à dévorer un ouvrage sans pouvoir le lâcher. Démarche contraire chez moi : j’en commence une dizaine en même temps, puis je les déguste lentement, sur des périodes parfois très longues (le Journal littéraire de Léautaud commencé en 1988 ou 89, je n’en suis qu’au volume XIII), comme un alcool fort. Peut-être qu’une simple fainéantise de l’esprit.

Samedi 27 février
Une fois de plus, le célibat a fait son œuvre. Déjà peu convivial par nature, l’isolement lyonnais n’arrange rien.
Pour ne pas me complaire dans le ressassement bougonneur, je me décide pour une toile au cinéma le plus proche. Seul film non vu et pouvant capter quelque attention dans une visée distrayante, Toy Storie 2 (le premier avait été vu avec Karl à Laon, il me semble). Résultat : une petite dizaine de spectateurs, et tous en couple ! Je suis damné, pestiféré dans ce système social.

Lundi 28 février, 0h30 ?
Dans le brouillard avant l’extinction des feux. Mon samedi soir s’est ponctué de l’heureuse découverte de Toy Storie 2 (belle humanité de jouets) et par la fréquentation du malodorant First (bar et boîte).
Ce dimanche ensoleillé, promenade dans le bondé parc de la tête d’Or et rédaction sous les rayons de quelques lignes pour ma thèse. A ce rythme, je la passerai pour ma retraite (si j’y ai droit !).
Jospin va-t-il nous faire attraper quelques attentats sur le sol national après son évidente maladresse langagière ? Signe de la sanction : un des cailloux qui lui étaient adressés a atteint la tonsure naissante du premier ministre. Un point rouge en atteste.

Mercredi 29 février, 0h20
Illustration de l’innommable médiocrité de certains humanoïdes : Big Média TV
hexagonal rapporte (avec une complaisance amusée et bienveillante) que quelques tarés se sont présentés devant un grand magasin autrichien à poil pour être l’un des cinq premiers à recevoir un bon d’achat de deux mille francs pour récompenser leur insondable connerie à piétiner. Voilà les dangereux qui mettent en péril l’intégrité humaine et non le bellâtre Haider.
Bougrement édifiant en tout cas du décervelage de ces pitoyables actants de la société de consommation.

Mars/Avril

Mercredi 1er mars, entre minuit et 1h
Suivi mardi après-midi les questions d’actualité à l’Assemblée nationale. Jospin sur la sellette, après avoir été « caillassé » (selon son expression) lors de son passage en Palestine, s’est plutôt bien sorti de l’épreuve. Une force de conviction qui remit les attaques de l’opposition à leur piètre dimension. Entre autres arguments jospiniens de bon aloi : la référence à la période de cohabitation 86-88 avec J. Chirac dans le rôle de premier ministre et qui marcha bien plus souvent sur les plates-bandes de la politique étrangère sans rechigner à entrer en conflit avec le chef de l’Etat, le tacticien feu Fanfan Mité.
Juppé glissa malicieusement lors de sa question, presque tendre, qu’il avait l’expérience de gourderies comme ancien premier ministre et qu’il comprenait l’optique plus généralisante des réponses de Jospin.
Oublié ma réception d’une très gentille carte de Karine V. (que je croyais fâchée)
très émue par les voeux que je lui avais adressés. Par ailleurs, appel de Martine S. venant prendre de mes nouvelles. Mon relationnel à Paris était autrement plus dense que le désert lyonnais : cela vient-il de mon rapport aux autres qui a changé ou du caractère froid et impénétrable des lyonnais(es) dans leur majorité ? En tout cas, les quelques tentatives pour constituer ce relationnel par le biais professionnel (Institut Galien et Acadomia) ont échoué à chaque fois : nib, zob ! Et draguer en pleine rue ou dans les transports n’a jamais été mon truc... Alors, pendant que des myriades de couples se forment, je m’enlise dans ce célibat.

Samedi 4 mars, 0h15 env.
Je ne dois pas tarder à rejoindre ma petite mort, car journée très chargée en perspective, et néanmoins très agréable : 7h30 de cours particulier à quatre élèves. Deux heures consacrés à la technique du résumé d’un texte à Cécile P. (que je ne connais pas encore) ; deux heures de préparation à la synthèse de documents avec Vanessa D. (charmante chef d’entreprise) ; pour l’après-midi une heure trente de préparation à l’oral du bac de français pour mademoiselle Elo F. (une Cathou en plus fine) ; puis deux heures de philosophie à Valérie R. (que j’avais suivie en français l’année dernière, de délicieuse compagnie avec son faux air de la comédienne américaine lancée par Pretty Woman, oubli de son nom). Sitôt fait, je prends un train direction Rumilly pour retrouver Angela et ses copines en vue d’une soirée pétillante à Annecy. Densité rare, il me fallait l’inscrire.

Lundi 6 mars, 23h40
Une rareté : j’arrive à jeter quelques insipidités avant l’extinction de la journée.
Très agréable sortie nocturne à Annecy avec Angela et deux de ses copines. Pour
une fois, fréquentation des boîtes bien accompagné. Il faut croire que la fille attire la fille : le seul fait d’être entouré m’a mis sur la ligne de visée de quelques dragueuses plus ou moins allumées. Après ces défoulements tous azimuts, vers les six heures du matin, nous avons dormi, Angela et moi, chez sa copine Nadia avec qui j’ai partagé un agréable matin charnel. Avant mon départ, quelques pas autour du splendide lac ensoleillé.
Semaine encore très chargée et, vendredi, voyage express pour le château. Heïm est à l’hôpital du Val de Grâce pour de nouveaux examens approfondis et/ou un suivi de la situation. J’appellerai pour pouvoir passer ce vendredi ou dimanche avant mon retour.
Bruno M. passait sa thèse de médecine ce soir. Sandrine devait y assister. J’étais moi, malheureusement, retenu à Galien de 18 à 21 heures pour la colle donnée aux étudiants de Grange-Blanche.

Jeudi 9 mars, tout juste minuit
Vendredi, prise d’un tgv à 6 heures du matin pour un passage rapide au château. Dimanche, halte à Paris, avant le retour dans l’antre lyonnaise, visite au Val de Grâce pour visiter Heïm quelques heures.
Mon emploi du temps débordant ne me sert pas à gagner grand chose, juste de quoi survivre. Comment qualifier cette vie que je mène... insignifiante par son manque totale de construction : ni femme, ni famille, ni ambition. Ma trinité s’enlise dans l’anéantissement programmé.

Lundi 13 mars, 0h30 env.
Rentré ce soir du château après avoir passé une partie de l’après-midi au Val de Grâce pour voir Heïm. Séjour à l’hôpital notamment pour tester et mettre en place le traitement par l’insuline. Heïm a également acheté le Journal de Polac et s’est retrouvé dans quelques passages, par le style et le fond.
A propos de diariste, et pour flatter mon ego, pour une fois, Heïm, à qui j’ai déclaré toujours entretenir un lien avec l’écriture, serait a priori intéressé pour publier l’intégralité de mon Gâchis exemplaire de 1991 à 1999. A trente ans, j’aurais le rare privilège d’avoir le premier tome de mon Journal pamphlétaire édité. Je vais donc m’atteler à finir de le saisir (y compris les correspondances) et à le mettre en pages.

Mardi 14 mars, bientôt 2 heures du matin
Mon douillet isolement lyonnais a repris. L’objectif littéraire assigné me plaît bien. J’ai sélectionné quelques correspondances intéressantes à intégrer au Gâchis.

Le Strip-tease de France 3, émission diffusée malheureusement trop tard, présentait encore des figures bien sordides. Sans doute que chacun d’entre nous, saisi dans sa quotidienneté, paraît peu ragoûtant pour les autres. Je préfère de très loin ma solitude, même pesante, à tout embrigadement sentimental avec un être médiocre, à toute subordination professionnelle avilissante...

Samedi 18 mars, 2 heures du matin
Une surcharge de cours à donner qui n’augure pas des semaines de tout repos, à l’image de celle qui s’achève. Ce week-end, qui devra être érémitique, sera centré sur la correction des copies de Grange-Blanche, toujours en attente depuis une dizaine de jours.
Une première dans mes activités d’enseignement : la belle et longiligne Julie K. (qui a obtenu, après notre travail, un dix-huit sur vingt en commentaire littéraire) s’approche de moi, à mon arrivée, faisant mine de vouloir m’embrasser. Je commence à lui faire signe qu’elle se trompe (cela arrive par enthousiasme et plaisir de revoir quelqu’un) mais elle insiste. Je me laisse donc faire, un peu troublé ma foi pour débuter ce cours.
Passionnant de plonger dans les univers de ces élèves-jeunes femmes, par le biais d’une dualité d’un instant. Sentiment de partager un moment important alors qu’elles oublieront pour la plupart mon nom et mon visage. Revu la
pétillante et magnifique Elo F. que j’aurais peut-être le privilège de suivre en philosophie l’année prochaine.
Le miraculé Jospin, que le pouvoir a transfiguré au point de lui redonner une bouille regardable, sans yeux globuleux et bouffissures inquiétantes, est passé chez Big Média d’Arvor, les gonades étatiques bien gonflées, pour lustrer sa pilule et distribuer les baisses fiscales à tous vents. Peu enclin à le critiquer, je peux l’avouer.

Dimanche 19 mars, 0h30
Chouette samedi soir en reclus : correction des copies de Grange Blanche. Une plongée dans l’analphabétisme universitaire et dans l’inanité des raisonnements. Activité tout à fait recommandée pour mon humeur délétère. Et je dois poursuivre cette tâche au petit matin. Pire que du bénévolat, du masochisme !
Je me sens foncièrement étranger au monde et à ses actants paradeurs, paumés ou h.s., et, dans le même temps, je regrette à hurler de n’avoir pu déceler ou retenir celle qui aurait été mon absolue complice, ma source d’épanouissement. En traçant ces mots, les bruits de quelques pétasses-à-tirer remontent à ma mémoire, des rires de gorge qui s’imposent telles des vomissures malodorantes. Amertume dépitée ? Sans doute, mais c’est l’ultime moyen de me sauvegarder. Signe rassurant : je m’émerveille et m’enthousiasme toujours autant devant la féminité véritable.

Mardi 21 mars, 0h20
Semaine de folie pour les cours particuliers : du lundi au samedi 39 heures données, hors temps de déplacement, à 25 lieux différents. La période des examens approche et les demandes se font plus pressantes. La gestion du planning relève de plus en plus du jeu de construction miné.
Acadomia me réserve souvent les cas particuliers et les demandes atypiques : hier, premier cours donné à un garçon de 12 ans surdoué (polyglotte, sachant lire à 3 ans, très porté vers ce qui touche à la finance). Pour la maman, il ne fait aucun doute que son Arthur aura une brillante carrière internationale. L’objectif de mes interventions : lui faire découvrir, et si possible apprécier, la littérature française sans passer par une approche scolaire. Très bon contact. A suivre...
La tête à claques au(x) sourcil(s) (se rejoignant, le pluriel semble superflu) broussailleux se fait tirer l’oreille par Jospin, Ministre Ier.
Consacré un chouia de temps à continuer la mise en pages et les correction du Gâchis : près de 500 pages déjà rentrées sur ordinateur.

Dimanche 25 mars
Par le truchement administrativo-artificiel, il doit être un peu plus de trois heures du matin. L’heure d’été impose encore une fois ses deux heures de décalage avec le soleil.
Samedi soir passé à poursuivre les corrections pour les années 94 et 95. J’intégrerai quelques lettres ou mots importants.
Grande nouvelle annoncée par e-mail : Shue se marie le 9 septembre prochain à Monaco. Je suis invité à me mêler aux cent cinquante invités qui fêteront ces belles noces. La correspondance que nous entretenons par internet est des plus amicale et affective. La fidélité de notre lien m’illumine. Courant avril, j’irai passer un week-end prolongé chez elle à Paris pour l’aider à finaliser sa thèse.
Jospin s’apprête à chambouler son gouvernement aux prises, notamment, avec les revendications des « feignasses » de fonctionnaires, comme le tonitruerait Allègre (le « broussailleux » cité mardi). La tête de ce dernier, comme celles de l’effacé Sauter, de l’inconséquente Voynet (qui, enfin, pourra dégonfler) et de la masse Trautmann (gratuit, je sais, mais je jouis du peu qu’il me reste !) devraient disparaître du champ gouvernemental.
La Nadia d’Annecy, goûtée après une soirée en compagnie d’Angela, souhaite lire mon Journal. Aïe ! je l’ai prévenu du caractère éminemment violent et désespéré de son contenu. Ce ne sera pas le pétillant jeune homme qui se fait draguer par trois minettes au cours de la soirée, mais un ours retranché dans sa psychose maniaco-dépressive.

Mardi 28 mars, 0h20
Côté comédie du pouvoir, Jospin a cédé à l’ostracisme nécrosé des
fonctionnaires. Encore une réforme de l’enseignement qui tombe à l’eau, avec la tête, broussailleuse en l’espèce, de son initiateur. Le « remaniement gouvernemental », puisque c’est l’expression consacrée, a opéré quelques tours de passe-passe pour préparer un second souffle. De derrière les fagots, Jospin ne nous a pas vraiment sorti du neuf : le Fabius perché avec de sémillantes propositions de baisses d’impôts dans son bec au lieu et place de l’effacé Christian Sauter ; à l’éducation nationale, rien de moins que le dinosaure Lang, dont la détermination à gagner l’investiture socialiste, pour être candidat aux municipales de Paris, s’est dégonflée à la première petite hostilité de la salle. Cela promet un bon cul tendu dans ces quartiers ministériels, qu’il a d’ailleurs déjà fréquentés. Voilà un exemple d’opportunisme absolu : et il oserait encore (comme il l’avait fait avec Ruth Elkrief) reprocher aux journalistes de ne lui poser que des questions politiciennes sans aller au fond ! Le comble : son fond à lui s’arrête bien au-dessus du niveau de la mer, du côté de la girouette opportuniste.
Côté politique de la promotion : une émission assez distrayante de G. Durand (En direct ce soir) avec une belle brochette d’acteurs et de comédiens à l’occasion de la sortie du prochain film de Bertrand Blier.

Samedi 1er avril
0h20. Je prends ce matin à 7h36 un train pour Montpellier. Visite éclair à ma chère grand-mère, à ma mère et à Jean qui s’y trouvent depuis une semaine. Retour dès demain en voiture dans la capitale des Gaules que je leur ferai découvrir avec mon nid. A la gare, c’est mon oncle J.-L. B., pas vu depuis deux ans, et son amie M., qui m’attendront. Une brève entrevue familiale pour donner et prendre quelques nouvelles. Les vieillissements se poursuivent sans un très grand suivi de part et d’autre. J’espère que Fontès aura quelques rayons à m’offrir.
Satisfaction ce soir (hier soir plutôt) pour ma recherche de documents sur
Internet. Pour aider une de mes élèves, Carole H., à finaliser son exposé en philosophie sur l’expérience du Puy-de-Dôme de Blaise Pascal, je me propose d’aller à la quête des ouvrages concernés par ce sujet très ciblé. Le site Gallica, étonnamment accessible à une heure catholique, me permet d’avoir la préface intégrale du Traité du vide et l’édition originale numérisée d’un de ses écrits scientifiques. Malheureusement, sa lettre à son beau-frère Perrier est intégrée à l’œuvre complète et commentée de La Pléiade, donc non tombée dans le domaine public, et pour cette raison inaccessible par le net.
Drame absurde, et presque comique en cela : le premier militaire français mort au Kosovo l’a été par un collègue.

Mardi 4 avril, 0h30 env.
Fréquence Jazz pour fond sonore, je transite par les petits carreaux avant un court sommeil.
Le passage éclair à Fontès m’a permis de voir ma grand-mère, toujours adorable mais diminuée physiquement. Etaient présents : Jean, J.-L. et M. J’éprouve à chaque fois un pincement au cœur lorsqu’on raccompagne grand-mère à la maison de retraite. Le sentiment de percevoir dans ses yeux embués comme un adieu potentiel, comme s’il s’agissait à chaque entrevue de la dernière. Moi qui déprime si facilement, dans quel état serais-je lorsque le poids des années laissera se profiler une fin proche, immanente, prête à vous retirer du monde pour toujours ?
La correction du Gâchis se poursuit. Long et fastidieux travail de relecture, mais captivante plongée dans ces années de tourments : à la sûreté de soi succède l’effondrement lucide ou déjanté. Pour donner toute la dimension à ma relation avec Sandre, j’intégrerai dans l’année 92 les quelques lettres que je lui avais envoyées. Une complicité épistolaire à laquelle je mis fin par crainte de la voir dériver vers une autre nature. Curieux d’ailleurs de voir mon peu d’enclin à parler de Cathou durant cette année, au contraire de 1991 où son omniprésence est flagrante.
Reçu aujourd’hui les trois volumes commandés de l’œuvre complète de Charles de Gaulle. Même si je n’ai pas le temps de les lire pour l’instant (j’ai déjà beaucoup d’ouvrages entamés) j’apprécie d’être entouré des auteurs que je respecte. Leur rareté les rend d’autant plus essentiels.
Bientôt l’extinction du feu électrique. Je creuse, mais je ne trouve rien à exploiter en provenance de Big Média.

Mardi 11 avril
La surcharge de cours tous azimuts ne me laisse plus beaucoup de répit, et les vacances de Pâques s’annoncent pour moi comme une densification du labeur.
De mon nid lyonnais, je distingue le Crayon et sa pointe clignotante. France Info express de 23h53 confirme la grève TCL qui m’impose l’annulation de trois heures de cours pour demain. En espérant que cela ne dure pas plus d’un jour. Anachronique, à trente ans sans permis, je devrais dans ce cas sortir le vélo.
Petite anecdote : l’élève Carole H., que je suis en philosophie, avait un exposé à faire sur l’expérience du Puy-de-Dôme de Pascal. Je lui recherche sur Internet le contenu de quelques écrits du touche-à-tout en rapport avec cette expérience. Sa maman retrouve, elle, un vieil ouvrage scolaire de physique qui décrit l’expérience et m’apprend qu’un de leurs voisins (dans leur maison de campagne) était un descendant de Perrier, le réalisateur de l’expérimentation pour Pascal.
Je m’effondre sur mes carreaux... impossible de continuer. A noter tout de même la grotesque gonflette de ce que Big Média a baptisé de Nouvelle Economie, laquelle regroupe les « jeunes pousses » (Start up) axées dans le domaine d’Internet. L’écroulement des cours doit angoisser plus d’un jeune entrepreneur. J’ai déjà donné !

Jeudi 13 avril
Les journées défilent, tendues vers la réalisation des cours tous azimuts à donner. Le sens de mon existence s’amoindrit inexorablement. Seul subsiste, peut-être, et certainement de manière très parcellaire, ce témoignage abrupte.
Dès qu’un transport m’accorde quelque durée, je la mets à profit pour corriger les premières épreuves sorties du Gâchis exemplaire. Je pointe actuellement à l’année 1994. Je maquille les noms des personnes privées que j’attaque et laisse les initiales pour celles qui ne font pas l’objet de mes foudres. En revanche, tout ce qui relève de la personnalité publique est nommé sans détours.
Bientôt minuit et demain matin levé à 5h30 pour un programme surchargé, mais compensé par une succession d’élèves charmantes : Claire J., Elo F., Carole H., Marie-Clémence B. et Erwina B. Les vacances de Pâques ne s’annoncent pas plus reposantes. Je remplis mon agenda comme un puzzle complexe. Je me réserve cependant le week-end de Pâques (lundi compris) pour aller visiter ma très chère amie Shue. Peut-être mangerons-nous un soir avec Sally, Karl et sa petite amie. Notre rapport amical, avec mon iranienne préférée, certainement une des dernières vraies amies qu’il me reste, est des plus complices par e-mail.
Pour la fournée de Big Média, il me faudra l’analyser une prochaine fois.

Dimanche 16 avril, env. 1h du matin
Parmi les élèves que je suis, Elo F. est de loin la plus charmante
et celle avec qui s’est établie la plus agréable des complicités. Sise chez ses parents à Saint-Cyr au Mont d’Or, elle m’accueille avec un enthousiaste « Bonjour Monsieur Loïc ! », « Bonjour Mademoiselle Elo » je lui réponds aussitôt. Elle pourrait flotter dans un sac à patates que sa pétillante féminité transparaîtrait. L’heure et demie de mon intervention défile à toute allure, et dès que je le peux (lorsque mon emploi du temps me laisse une marge de manoeuvre ou que j’ai pu la placer en dernier cours) je fais du rab bénévolement, pour mon unique plaisir. A 18 ans, elle respire et exhale tout ce que j’aime chez une femme, mais je sens un caractère trempé... Je dois la voir à quatre reprises durant ces vacances de Pâques, et mardi je suis invité par la maman à rester déjeuner chez eux. Dommage que je ne sois que son professeur particulier. Le devoir avant tout.

Jeudi 20 avril, 23h
Demain soir, après une dernière journée de courses pour les cours, direction Paris pour rejoindre ma chère Shue. Trois jours en sa compagnie m’illuminent déjà.

Mardi 25 avril
Séjour fructueux et intense à Lutèce. Ma chère amie Shue m’accueille quai de Grenelle pour que je l’aide à corriger sa thèse. Sur quatre nuits, deux se déportent rue Saint-Louis en L'Isle, dans l’île Saint-Louis chez S., la nièce de Sally.
Quelques explications s’imposent. Arrivé vendredi soir, je file chez Shue qui me présente son futur mari, le sympathique John, un américain vivant en Allemagne. Le samedi soir, nous retrouvons au Totem, place du Trocadéro, Karl et son amie, Sally et sa nièce. Puis, sans Shue et son fiancé, nous allons mirer la pièce Le roi cerf d’un auteur italien du XVIIIe siècle, un peu actualisée sur une scène aux décors changeant automatiquement. Lors de cette représentation, et plus exactement au cours de l’entracte, nous conversons S. et moi, dans la plus pétillante harmonie. Elle me propose alors de la visiter le dimanche soir pour qu’elle me montre son travail de photographe...

[E-mail à Shue]
Jeudi 27 avril
Objet : De Lyon à Genève, c’est noté !!!
Et moi ma chère Shue,
Quel plaisir d'avoir pu passer ces deux jours en votre compagnie. J'ai énormément apprécié John est très attachant et vous allez très bien ensemble.
J'ai noté votre séjour à Genève, et je devrais être présent... Vendredi y serez vous le soir ou le matin ?
Je n'ai pas eu un instant pour appeler l'hôtel... Cette semaine a été du délire concentré !!!
A très bientôt. Je vous embrasse. Loïc.

Vendredi 28 avril, 0h30 env.
Totalement bâclée la tenue de ce Journal. Le remplissage trop dense ne me laisse plus assez de temps lucide. Je m’écroule lamentablement sur ma page sitôt le début d’un périple ou d’une villégiature narrés.
Pour revenir à mon séjour parisien : les deux entrevues en tête-à-tête avec S. n’ont pas manqué d’attraits. Le dimanche soir, elle m’avait concocté un charmant repas dans son petit appartement de l’île Saint-Louis (quel lieu agréable, avec un côté village, sans cette frénétique circulation). Après quelques détours vers ses albums de photos, je suis invité à rester dormir chez elle.
Douce découverte charnelle de cette blonde aux origines corses, d’une peau blanche et à l’intimité aux saveurs délicates. Nous renouvellerons le rapprochement un degré au-dessus le lundi soir. Je la rejoins dans son antre à minuit et demi après un passage chez mon père le midi et la poursuite du défrichage de la thèse de Shue. Des seins superbes, mais sans doute siliconés...
Je l’apprécie beaucoup, mais je ne souhaite pas me lier plus intensément. J’espère que sa posture d’indépendante célibataire lui suggérera le même état d’esprit. En arrière pensée mesquine : trouver une lyonnaise pour ne pas avoir toutes les contraintes de la distance. J’ai déjà donné !
Ma complicité pédagogico-affective avec Elo semble se confirmer. A nouveau invité à partager le déjeuner de la famille hier midi, je suis convié dimanche prochain à m’associer au barbecue organisé par la sœur aînée : Elo sera évidemment présente et une dizaine de leurs amis.
Nos rapports de pédagogue à élève n’ont plus rien de l’empesée réserve, bien que le vouvoiement persiste. Elle semble très réceptive à mon humour (sa présence m’inspire pour le pétillement) et nous truffons nos études de textes
littéraires par diverses digressions. Si elle n’était si jeune ou moi si croûton... j’exagère sans doute, certainement même : de 18 à 30 ans, cela reste très modeste comparé au 60-22 de Polac (cf son Journal). Différence de taille tout de même : si quelque chose devait exister entre Elo et moi, ce serait de l’ordre d’une vraie relation et non d’une passade. Je me sens potentiellement amoureux d’elle.
Avec mon voyage à Paris, j’ai relancé ma lecture de Polac. Beaucoup de correspondances avec mon Gâchis exemplaire. Je regrette cet aspect survolé que donne la sélection de passages. L’unité donnée par le fil de la vie n’existe plus.
Tchernobyl et son drame absolu refait parler de lui : l’augmentation des cancers de la thyroïde est-elle liée au passage du nuage radioactif ? Pasqua, Barzach et le pauvre Carignon, alors ministres en charge de l’Intérieur, de la santé et de l’environnement, risquent la Haute Cour de la République pour leur négligence. A suivre...

Samedi 29 avril naissant
Lors de l’étude de la Lettre à Minécée avec ma charmante étudiante Valérie R., découverte du même procédé de dénigrement déformant utilisé par la chrétienté
envers l’épicurisme comme les révolutionnaires de 1789 à l’égard de l’aristocratie. Pour mieux asseoir son autorité sur les fidèles, le christianisme moyenâgeux va colporter l’image d’un Epicure assoiffé de jouissances amorales. En réalité l’anti-stoïcisme veut redonner à chacun la faculté de diriger sa propre existence sans l’obsession castratrice engendrée par une ou des entité(s) divine(s) à la tutelle jugeante et à la sanction terrorisante. Epicure n’oublie pas pour autant les vertus de la sagesse, mais une sagesse dégagée des manipulateurs de la multitude bernée. Ses conceptions sur la mort et l’univers sont d’un modernisme saisissant. Par ses critiques, il répondait, au IIIe s. av. j.-c., aux dérives intégristes du christianisme, à son bien et à son mal imposés et à la remise de son destin spirituel au grand Manitou-Dieu érigé par les potentats du dogme pour mieux brider les ouailles fidèles. Un visionnaire, en somme. Epicure et Nietzsche, voilà deux esprits qui me comblent.
Très jolie réussite mélodique du dernier Daho. Moi qui achète si peu de chanteurs français, je n’ai pu résister à la belle harmonie paroles-musique de son brasier. La patte reste la même tout au long de l’album. Un doux plaisir guimauve pour moi. Ces Bashung, Daho and Cie (une coquille vide le and Cie, aucun autre nom ne me revient) je les ai entendu débuter lors de mes fantastiques années au château d’O. Chacun a bien vieilli et affirmé son style alors que moi, jeune croûton scribouilleur, je noircis en vrac ces carreaux.
Sur conseil de Bruno M., achat du Terrorisme intellectuel de Jean Sévilla paru chez Perrin. Xième livre que je vais commencer en parallèle aux autres. Certains, comme le tome XIII du Journal littéraire de Léautaud en sont dans leur cinquième année de ma lecture. C’est de la dégustation suprême à ce point.

Dimanche 30 avril, 6h15
La rue Vauban ne manque pas d’animations dramatiques. Il y a quelques mois, un incendie perturbait ma nuit et ce matin, ce qui aurait dû me permettre une mini-grasse me sort du lit après un bruit de choc conséquent. Presqu’à l’angle de la rue Garibaldi et de ma rue, rencontre bruyante entre un véhicule utilitaire et la carcasse d’un bougre. Le gars semble, de loin, hébété. J’appelle le commissariat des troisième et sixième arrondissements, mais ils sont déjà au courant.
Soirée improvisée du samedi avec Florence P. : cinéma puis restaurant italien. Malgré une intoxication alimentaire quelques jours plus tôt, elle resplendit. Son voyage en Afrique du Sud, chez son amoureux Martin, ne lui a donné que des satisfactions. En septembre prochain, exil à Londres où ils s’installent. Notre très agréable soirée s’est épicée de quelques grands éclats de rire. Une complicité amicale qui confirme tout le bien que je pense d’elle. Mon projet de publication a semblé l’intéresser vivement.
Grand dimanche pour moi : je dois retrouver Elo, sa sœur et leurs amis dans leur antre verdoyante sur les hauteurs de Saint-Cyr (à mi-chemin du sommet). Peut-être une journée clef dans la tournure de notre lien (amical, affectif ou... plus si je rêvais).

Mai/Juin

Lundi 1er mai
8h45. Pas de pause pour moi : je fête le travail en allant donner à dix heures un cours au surdoué Arthur Z. Hier, un très agréable dimanche ensoleillé. Une Elo follette, mais toujours aussi charmante. Je doute toutefois qu’une autre forme de relation se substitue à la présente.
Après avoir eu l’histrion devenu président des Etats-Unis, le père Reagan et sa comique de femme, nous assistons aujourd’hui à un parcours inverse : Bill Clinton achève son mandat avec un petit film d’autodérision où il met en scène son désoeuvrement. De la tonte à la machine à laver, le Bill à tout faire confirme ses dons pour le grotesque. Rappelons qu’il s’était essayé à la dramaturgie avec plan fixe lors de l’affaire Lewinsky. Peut-être cela a-t-il constitué le point déclencheur. En route pour une nouvelle carrière Bill, via le cirque Pinder.

Mardi 2 mai, 0h20
Je devais voir Sandre ce lundi, mais en fin de matinée appel de Mme F. sur mon portable alors que je rentrais du parc de la Tête d’Or. Nouvelle invitation chez eux ; j’accepte avec enthousiasme. C’est la grande passion pour moi en ce moment. Et cette Elo, tellement adorable, un visage si inspirant et une présence si attachante.
Après-midi au soleil radieux à corriger quelques copies Grange-Blanche, je chope mes premières rougeurs au visage. En me ramenant chez moi, Mme F. me raconte l’horreur qu’a été, en 1973, son accident de la route. Un camion brûle un feu et percute sa voiture de côté (par chance, sans ceinture de sécurité, elle est projetée de l’autre côté de l’impact, évitant ainsi le broyage). Les dégâts corporels se révèlent considérables (par exemple : bassin cassé en sept points, vessie éclatée, estomac et rate touchés, etc.). Elle reste plusieurs mois à l’hôpital avec le ventre ouvert. Elle me confie avoir songé à renoncer à se battre. A la voir aujourd’hui, on ne peut se douter de l’horreur du drame. En outre, cette courageuse miraculée a réalisé son propre miracle : avoir la belle Elo dix ans plus tard.
Au journal de TF1, Jean-Claude Narcy fait diffuser l’intégral du Guignol-Clinton. Que faut-il voir dans ce sitcom agrémenté de rires préenregistrés : l’exemplaire autodérision d’un président en fin de mandat ou le révélateur de la déliquescence inéluctable du pouvoir ?

Samedi 6 mai
Encore une soirée délicieuse de complicité et de rire chez les F. Sitôt mon dernier cours donné, je file à Saint-Cyr pour voir Elo jouer au basket. Impressionnant de la voir marquer un panier à cinq mètres. Retour dans la maison familiale et dîner merveilleusement improvisé vers 22h30. Une salade rafraîchissante après un potage et avant un plateau de fromages comme je les chéris. Ils semblent m’apprécier sans l’once d’une réserve, et sont aux petits soins pour moi.
Trente millions de morts : pas le chiffre de la dérive meurtrière d’un tyran déjanté, mais le bilan des décès occasionnés par des accidents de teuf-teuf devenus vroum-vroum dans le monde. A trente ans et demi je n’ai pas le permis de conduire : cela pourrait passer pour de la résistance ; en fait grande fainéantise de ma part dans ce domaine. La mécanique, les tôles bien dessinées, les chromes à faire « polir » le plus vénitien des miroirs, toutes ces sources de « mâles bandaisons » n’ont jamais suscité un quelconque désir chez moi. Un réfractaire de premier choix : né au XXe je n’ai jamais possédé d’autre moyen de locomotion que mes pieds et... un vélo !

Jeudi 11 mai, 0h et quelques
Une pensée pour cette chère Elo qui doit encore réviser ses textes pour ce jour, date de son oral blanc. Elle est passée à l’Institut Galien pour que je lui fasse travailler quelques textes. Quel plaisir toujours renouvelé d’être en sa compagnie. Je modère mon penchant pour elle, sinon je me déclarerais. Elle me fait des confidences...

Vendredi 12 mai, 0h30
La bouffonnerie politique suit son cours. La pays va mieux, une chance pour que l’on évite de compter sur eux. La pseudo-sélection du candidat de droite pour Paris incarne le summum du ridicule qui se croit sérieux. La masculine Alliot-Marie, avec son sourire surfait et ses remarques composées et sans talent, s’illustre par une vraie gesticulation. Que pays et villes soient correctement gérés, voilà le minimum que l’on peut attendre. Pour le reste, les fantasmes feront l’affaire.
Cette chère Elo est précisément tombée sur le poème qu’elle chérissait et maîtrisait le mieux : Le Dormeur du Val de l’homo Rimbaud. Je suis passé vers 17h30 lui faire un petit coucou à la sortie de son lycée privé, rue Pasteur à Lyon. Au milieu de ses camarades, je me trouvais un peu croûton, je la voyais très gamine. Ne suis-je pas en train de m’illusionner sur une très improbable relation ? Et pourtant ma complicité avec elle et ses parents va croissant : la maman m’invite dès qu’une occasion se présente (je dois rester chez eux le samedi soir et tout le dimanche), elle me montre une photo géante de sa fille adorable à 12 ans ; Elo m’accueille mercredi soir quelques instants dans sa chambrette, elle me fait lire la première page de son Journal dimanche dernier, elle se confie à moi... Que puis-je donc représenter pour elle : grand frère, complice bienveillant, autorité respectable ou amant potentiel ? Le cumul ne serait pas insensé. Nous nous entendons si bien, et je suis hanté par sa bouille de poupée virevoltante... Que de suppositions, d’incertitudes et peut-être d’illusions... Sans sombrer dans le carpe diem horacien, prenons et goûtons au cœur tous ces instants partagés avec elle.
Il me faut mettre un coup de collier dans la gestion d’Hisloc qui, il est vrai, est en sommeil depuis plusieurs semaines, bientôt quelques mois. L’été réveillera la bête éditoriale, s’il est encore temps, je l’espère.

Dimanche 14 mai
Je suis ce soir encore chez les F. Adorablement reçu depuis samedi soir, j’ai prolongé le séjour avec leur approbation. Le père m’a tout de même lancé ce soir, avec un petit sourire : « Ca vous arrive souvent de dormir chez vos élèves ? ». Et moi de répondre, « Non, je ne pratique pas ! ». Avec Elo, une amicale complicité qui en restera probablement à ce stade.
Le quinquennat va sans doute être prochainement adopté pour notre Vième République. La marque de Mac-Mahon aura mis plus d’un siècle à passer de mode.
Mes contacts avec le nord s’avèrent de plus en plus clairsemés. Mon ancrage lyonnais semble irréversible, mais ne jurons pas trop tôt : les impondérables ont souvent imposé leur loi dans mon existence.

Mardi 16 mai
Ce soir, vers 21h30, Elo m’appelle sur mon portable pour me demander les derniers conseils avant son bac blanc de français à l’écrit programmé pour demain matin. Je ne sais si l’idée lui a été soufflée par sa maman ou si sa seule initiative en est la source, mais cette manifestation m’a ravi. Je ne peux me rappeler à ses souvenirs sous peine d’apparaître comme un affectif pot-de-colle. Ici, au moins, l’épanchement ne regarde que moi. Je fais ce soir un voeu pour elle et penserai fort à cette délicieuse et follette demoiselle au cours de la matinée. Je me demande ce qu’elle a pu noter sur moi dans son embryonnaire journal : simples faits, analyses ou sentiments ?
Eu hier Heïm au téléphone : une santé peu réjouissante et des affaires moroses. Je dois relancer le traitement de quelques dossiers juridiques en suspens. Le troisième vendredi de juin, je me rendrai à Chaulnes pour rencontrer maître K. comme président de l’ADGN. (...) Je partirai ensuite rejoindre le château d’Au pour le week-end.

Mercredi 17 mai
Les Laurel et Hardy de la politique bouffonne, Pasqua et de Villiers, n’auront pas tenu bien longtemps l’apparente paix du ménage. Le gros tente le coup de rafle des pouvoirs exécutifs du mouvement ; informé du complot, le dégingandé dénonce les manoeuvres et s’essaie au sourire jaune. Cette mascarade se fait sous l’appellation gaullienne de RPF. Comment peuvent-ils se prétendre les dignes héritiers du feu Général alors qu’ils ne respectent aucun devoir de réserve et que toute dignité a disparu de leur enveloppe politique ?

Jeudi 18 mai
Envoi par e-mail à Karl des années 91 à 93 de mon Journal pamphlétaire (titre général retenu, Un Gâchis exemplaire concernant les années 91-99). Il pourra les imprimer pour Heïm. Ce soir, poursuite des corrections sur ordinateur de l’an 94 et adjonction de quelques correspondances.
Le sérieux Balladur a lui aussi perçu la «mascarade» (terme utilisé par un député balladurien) que représente la désignation du candidat à l’élection municipale de la convoitée Lutèce.

Dimanche 21 mai, 1h
Une dégoûtation de tout. Je ne dois être fait que pour le néant définitif. Le monde m’incommode et je n’y serai jamais à mon aise. Vivoter en solitaire sera ma croix.
Je m’illusionne pour peau de zob. Je devrais me mouler d’un stoïcisme profond et ne m’attacher à rien.

Lundi 22 mai
Dimanche en fin d’après-midi, passage chez les F. pour la cueillette des cerises. Très agréable moment, notamment lorsque la follette Elo a délaissé ses textes d’espagnol pour s’associer à l’action. Moi planté au bas de l’échelle pour sécuriser l’assise, elle s’est risquée à braver son vertige. La maman, adorable, sachant mon goût pour les clafoutis (mon enfance au château en est emplie) s’empresse de nous en confectionner un pour le repas du soir. Avant mon départ, elle m’emballe une part et me donne une boîte bondée de cerises. Mon week-end, débuté dans la morosité solitaire, s’achève par le baume reconstituant de cette escapade à Saint-Cyr.

Mercredi 24 mai
Visite éclair hier soir tard de Sandrine qui avait un rendez-vous pseudo-galant à Lyon. Elle me narre les dernières péripéties de sa tentative d’amorce sentimentale avec un certain Benoît. Notre conversion amicale s’avère plutôt une réussite. Par ses confidences, je me sens presque investi d’un rôle fraternel bienveillant.
Je croyais avoir assisté aux plus pitoyables bouffonneries politiques, et les pages de la dernière décennie en portent traces abondantes, mais la «mascarade» (terme en forme d’euphémisme du sympathique Tibéri) de la désignation du candidat étiqueté RPR, pour les municipales, dépasse allègrement mes échelles de mesure. Les Balladur et de Panafieu n’étaient en lice que pour la galerie médiatique et pour faire croire à un semblant de pluralisme dans la pétaudière du Ramassis Pour la Rigolade. Ils l’ont bien vite compris et se sont retirés avant l’humiliation vexatoire de se voir ravaler à l’alibi décoratif. A voir et à entendre la tête à claques d’Alliot-Marie annoncer, avec une sérénité flageolante et de parade, que le cerneux Séguin se distinguait pour être le portefaix des couleurs clownesques du RPR, on pouvait avoir des doutes sérieux sur l’apport spécifique prétendu des femmes en politique. La langue de bois de la présidente de ce parti apparaît pour le moins aussi chargée que celle des hommes.


Jeudi 25 mai, 0h05
Vendredi, départ pour une villégiature studieuse de trois jours à Genève : nouvelle aide à Shue pour le rédactionnel de sa thèse.
Ce jour, visite éclair à Elo pour l’entraîner à l’écrit et lui rappeler les outils minimum à maîtriser.
La petite grosse d’à côté est revenue. Fait chier.

Samedi 27 mai
Arrivé depuis vendredi soir dans l’enceinte fortifiée de gros sous, Genève. Shue et John, adorables hôtes, me convient à découvrir la ville. Alors qu’ils s’en vont choisir la bague de mariage, j’aspire les quelques rayons de l’astre sur la terrasse du Lacustre. Les moineaux règnent ici en maîtres, sans crainte de piocher les miettes et morceaux de frites des convives. A quelques centimètres de moi, une dizaine de ces petites têtes m’interrogent sur ma capacité à leur faire quelques dons. Nous tenons, pour eux, le rôle de ces gros mammifères sur lesquels des piafs s’alimentent en totale entente, selon les principes du bénéfice réciproque. Pour nous, le plaisir de les voir déguster à quatre un bout de quignon ; pour eux, un festin permanent à portée.



Mardi 30 mai
Découverte dans un film d’Ettore Scola d’un Gâchis, Journal d’un homme raté. Le grand Vittorio Gassman campe l’aîné d’une tribu. Son frère lui confie ce manuscrit qui se révèle « superbe » après quarante années délaissées au fond d’un tiroir. Par négligence, le personnage incarné par Gassman n’a pas jugé utile une lecture préalable. Par souci égocentrique, m’éviterais-je cet oubli regrettable ?
Les faux fracas de la tête à claques d’Alliot-Marie, avec menacettes en avant, entretiennent le champ de ruines du RPR. Le brave Tibéri ne s’en laisse pas compter et stigmatise l’absurdité d’une éventuelle décision d’exclusion. La mélasse politique torchée par Big Media parvient, avec le parti décharné du président déphasé, à la plus écoeurante recette. Mouvement à gerber au plus vite.

Mercredi 31 mai, 0h30
Petit film scientifique sur les secrets du soleil. Magnifique découverte de l’histoire de cette quête de connaissance sur l’astre. Une mise en perspective du colosse en fusion-ébullition qui relativise tout le reste. A ces échelles, l’histoire de la terre, n’abaissons même pas l’angle à l’humaine, n’est qu’un épiphénomène. Quelle beauté saisissante que ces éruptions solaires, ces tempêtes magnétiques, ces forces incommensurables qui se déchaînent. De ce chaos, toujours recommencé, les neutrinos en nombre astronomique permettent la vie. Une grande leçon de modestie, d’humilité lorsqu’on songe à la fragilité inouïe de notre système solaire et à l’ordonnancement du tout. Si l’humanité avait un tant soit peu l’objectif de perdurer sur une durée infinie, elle devrait s’exiler d’ici un à deux milliards d’années dans un autre système, le nôtre étant voué, après la fin en forme d’apogée du soleil, à devenir une naine blanche. Certes les durées avancées sont hors de l’échelle humaine, et semblent absurdes à évoquer. Il convient toutefois d’en être au moins conscient, ce qui fait la caractéristique de notre humanité. Impossible maîtrise, mais conscience du tout.

Jeudi 1er juin
9h51. Décision d’aller pousser sur mes pédales dans l’ensoleillé parc de la Tête d’Or. Je découvre la roseraie au summum de sa magnificence. L’enchantement des couleurs en fête, les pétales de chaque fleur étirent leur velours sur l’impulsion d’une luminosité sans voile, les parfums m’étourdissent, la beauté de la vie dans sa plus évidente expression. Pour parachever le tableau, un écureuil traverse l’allée sans précipitation, en harmonie avec les lieux.
11h20. Partie animaux. Face à moi, le girafon né il y a quelques temps, bien entouré par trois têtes hautes. Moment de sérénité par les gestes lents que cette famille nous offre.
19h15. De retour au bercail, rue Vauban. Cette journée était-elle marquée par les bons auspices à mon égard ? Affalé sur la pelouse des ébats dans le parc, une jeune femme, grande et belle brune, s’installe à quelques dizaines de mètres de mon emplacement. Malgré la distance, échanges de regards, visiblement je ne la laisse pas indifférente. Pessimiste de nature, je relègue cette partie de séduction visuelle aux nombreuses avortées dans l’œuf. Les circonstances semblent me donner raison lorsque je la vois faire ses affaires pour partir. Ours timide, je ne me décide pas à tenter l’abordage. Scrogneugneu, renfrogné, je m’apprête à replonger dans le Journal de Polac, lorsque je la sens s’approcher de mon territoire éphémère et me proposer, avec un grand sourire, d’aller boire un verre. L’évolution des moeurs à tout de même du bon. Echanges fructueux : commerciale de 25 ans dans le secteur de la microbiologie alimentaire, Géraldine est célibataire depuis deux mois, d’origine nantaise et déterminée à rester dans la capitale des Gaules.
Nous devons cumuler ce soir dîner et ciné. Agréable perspective.

Samedi 3 juin
La belle baudruche que cette soirée. Gonflée au point de négliger la méfiance de sécurité. Je devrais moins m’épancher, jouer le mystère, ne pas trop laisser entrevoir mon enclin pour la demoiselle. La charmante a dû prendre peur, à moins qu’un aspect de moi lui ait déplu. La soirée s’est pourtant excellemment passée, au point que le ciné a été annulé au profit de la conversation partagée. Des signes d’une imperméabilité toutefois, et la promesse d’un appel qui n’a pas eu lieu, m’inclinent à ce pessimisme. Nous verrons si elle se manifeste d’elle-même dans la semaine qui vient. Sinon, adieu les espoirs. Nouvelle désillusion. Je les concentre sans pareille. Peut-être une passion incons­ciente.
Elo reçoit son petit ami ce week-end. De tous côtés, je ne peux me tourner que vers moi-même. Retour cette après-midi sur les lieux de la baudruche relationnelle, la verte des ébats, mais l’humeur maussade, prêt à embrocher à coups de lattes le premier trouduc qui s’aventurerait à me faire de l’ombre. Dans le crime et son euphémisme, la violence, la passion peut s’exprimer sans dépendance de l’autre et de ses tergiversations.
23h57. Encore quelques minutes en solitaire pour que disparaisse ce samedi soir.
Vu Fantasia 2000, cette tentative de fondre en un même mouvement la musique classique et l’imagination animée. L’entrée en matière et le dernier acte sont les plus réussis. Pour débuter, le ballet de cachalots s’étirant entre abysses pastélisés et cieux régénérés. Surprenant accord des tons musicaux et visuels ; la charge fantastique des mouvements enivre chaque parcelle qui s’anime pour une démultiplication esthétique. Pour achever les pérégrinations disneyennes, une allégorie sur la vie, la mort et la renaissance. Demoiselle la Vie, bouille angélique et tignasse enchanteresse, est confrontée aux débordements en fusion du sieur Volcan, projeteur d’incandescences mortifères. Cependant, l’espoir subsiste et la frêle sauvageonne, presque éteinte, renaît grâce à l’attention d’un cerf, témoin du cataclysme. Plongée dans la pureté qui permet de renouer avec quelques indices salvateurs.
La destination suivante est moins ragoûtante pour la transparence vertueuse : le chaudron du VIP, section bar branché, laisse tout le loisir de s’acclimater aux parades artificielles.
Si Tony Blair joue les pouponneurs de progéniture, Jospin n’a pas échappé au congrès des réformateurs, en compagnie, entre autres têtes importantes, du Bill pour rire et du Schroeder pour cracher. Le tableau des sérieux de la classe semble totalement inutile pour la marche capotante de l’humanité. Tour de cirque, tout au plus, avec luxe de moyens pour tenter de crédibiliser la réunion.
Le fric, quoiqu’en disent les bons esprits, reste toujours le meilleur ouvreur de donzelles. En ce lieu, à 0h34, les odeurs d’infatués remontent ; ça renifle le gras-double content de lui parce que bien entouré.
Ma triste compagnie décourage certainement, et l’impossible rayonnement financier me voue immanquablement au néant sentimental. Je juge l’alentours, voilà ma seule ch’tite médaille.
L’affaire Géraldine me pèse encore. Pourquoi cette déficience d’honnêteté : me fixer nettement les points de repoussoir. Je dois être le seul, dans ce bar, à n’avoir que moi pour interlocuteur. Je ne cherche pourtant pas l’originalité à tout prix. Ma croix se niche dans cette perdition en solitaire. Le déphasage, une maladie psychique ? L’inadaptation aiguë ronge mes jours. Les simagrées de chacun, le cinéma de chacune renforcent mon détachement. Mon masque de haine ne peut en aucun cas susciter un intérêt.
Il me faudrait profiter de cet imparable isolement pour triturer le mot, faire naître une forme d’expression jamais expérimentée, souiller toutes les excavations digressives et charcuter avant tout.
La devise du cloaque : « Ne vous affligez pas de n’être connu de personne mais travaillez à vous rendre digne d’être connu... ». Le comble du petit snobisme local à la parade prétendument importante. Je réponds tout de go : ne vous enorgueillissez pas d’être connu de la plupart... c’est du pur pipeau d’enculage. L’outre tombe me convient mieux.

Lundi 5 juin
Une sacré pétasse, l’illusionneuse du parc ! Dépité ? Oui je le suis et je m’étale en ronchonnements.
Ce soir, le chiqué Chirac a joué au Gardien des Institutions devant les deux têtes du Big Média Vingt Heures, Poivre d’Arvor et Sérillon. Le quinquennat va occuper tout ce beau monde politico-médiatique jusqu'à l’automne : une poussée avant l’été, un branle-bas de résonance pour la rentrée 2000 et le référendum d’octobre. Le charme douteux des cohabitations sera révolu par l’alignement des mandats présidentiels et parlementaires. A moins que le bon pôple, très vicieux ou désireux de retrouver ces instants rassembleurs, élise un candidat à l’Elysée et une majorité parlementaire du bord opposé. Rien que pour embêter tous les doctes constitutionnalistes et pour rabougrir a posteriori tous les arguments des défenseurs de la réforme, on peut espérer cette absurdité politique.

Jeudi 8 juin
Perte pour la truculence et la gouaille, le Dard coloré ne fouillera plus les potentialités supercoquelicantieuses de la langue française. Sans Frédéric, San Antonio va tournoyer dans le vide au-dessus d’un nid de cocus.
Ma boulimie d’aventures rabelaisiennes du couple Bérurier-San Antonio remonte à mes 10-11 ans, au château d’O. ; des piles entières étaient à ma disposition. Les passages « sexe » attisaient le cochon qui grognait en moi.
Je n’ai pas été fidèle à cette plume acérée suite à des rencontres littéraires plus nourrissantes et à mon rejet (trop systématique, j’en conviens) des oeuvres d’imagination.

Mardi 13 juin
Ce soir, passage place Bellecour pour assister au Live Music de Shola Ama, puis du rejeton de Johnny. De belles lumières, mais une foule nauséeuse. Je me suis éclipsé avant la fin pour éviter la cohue incontrôlable.
Vu Elo une dernière fois aujourd’hui avant son épreuve écrite de Français. Je fais un voeu pour elle. Inextinguible affection pour elle. Sa vivance illumine nos plages de travail.
Amorce de complicité charnelle avec une Nathalie, infirmière, et envoi d’un courrier à une Anna de Juan-les-Pins, en cinquième année de médecine, toutes les deux connues via internet.

Jeudi 15 juin
Arrivé ce soir sur les terres lutéciennes, je passe la nuit au 57 quai de Grenelle, chez Shue. John est présent, et je découvre les photos de leur mariage civil qui s’est déroulé le 10 juin dans la mairie du quinzième arrondissement. Cérémonie réduite au minimum, juste pour que le lien légal existe : la consécration véritable aura lieu en septembre à Monte-Carlo.
Demain, levé à 5h30 pour rejoindre Laon par les rails : début de journée au t.a.s.s. dans l’affaire sci v/ urssaf (volet majorations de retard) puis, en fin d’après-midi, à Chaulnes avec Me K. pour l’état des lieux de la fameuse Maison blanche ou Banque (en référence à l’établissement de crédit l’occupant préalablement) qui accueillit la déliquescence de beaucoup d’entre nous. Le bail emphytéotique conclut entre l’Adgn et Alice a été jugé inopposable au Crédit foncier qui tente de récupérer le bien. L’affaire a toutes les apparences d’un sac de noeuds malodorants.


Lundi 19 juin
De retour du château pour Lyon, via une nuit chez mon pater. La propriété m’a présenté ses plus feuillus atours et l’air ne s’encombrait d’aucun voile ternisseur de couleurs. Après deux mini-repas-catharsis avec Heïm, lors desquels ma tenue de l’alcool s’est révélée faiblarde, le dimanche s’est centré sur la visite de Hermione et V.

Mardi 20 juin
La faute à cette écrasante chaleur, mes transcriptions s’affadissent de plus en plus.
Lors de mon voyage en TGV (retour à Lyon), une caressante rencontre avec une grande et pulpeuse algérienne, ma compagne de rail. Attouchements de plus en plus appuyés de nos bras nus, pieds et cuisses accolés, sous l’alibi d’un sommeil prenant au départ, puis plus franchement par la suite. Je finis par lui laisser ma carte avant tout échange de paroles.
Elle réside depuis un mois à Paris (rachat d’un bar dans le 17ème) et va visiter sa sœur à Bourg-en-Bresse. Je suis d’ores et déjà invité chez elle lors de mon prochain passage à Lutèce. L’alchimie dense de cette attirance réciproque aurait pu se traduire, si la configuration l’avait permis, par une sexualité sans bride...

Mercredi 21 juin
Pas de sortie nocturne pour ce premier jour de l’été. Aucune manifestation musicale programmée n’a retenu mon attention pour me motiver à sortir de mon antre.
Au-delà de lui...
Oublié de noter mon sentiment général sur les pages choisies du Journal de Polac que j’ai achevé au château : si l’on trouve des passages savoureux, profonds, désespérés et tranchants, la tonalité du diariste n’est pas reproduite du fait de cette sélection. On ressent même parfois l’impression d’un conglomérat de pièces éparses d’où ne s’échappe aucune unité authentique. Passages fabuleux par la clarté de la langue, la qualité de la relation : les aventures de Cricri, de la Grande Sauterelle, etc., autant de bestioles blessées recueillies par Polac et sa Z., je crois. La profondeur de propos simples atteint des sommets.
Je continue à voir mon élève préférée, Elo, pour sa préparation à l’oral de français. Tellement attachante.
Reprise de contact téléphonique avec Flo J. après son envoi, depuis l’Egypte, d’une carte postale. Je la croyais fâchée contre moi, pas du tout.
Lundi soir, nuit chez mon amante-infirmière, Nathalie. Découverte progressive de son potentiel sexuel.
Vu Lang chez Big Média, en pleine défense de son projet de réforme des... primaires. Là, au moins, il ne risque pas de faire sortir les élèves sur le pavé.

Vendredi 23 juin, 0h50 env.
Hier soir, dîner chez les F., après avoir consacré ma fin d’après-midi à l’infatigable Elo. Malgré mes trente berges bien sonnées, je reste naïf dans l’image que j’ai de certaines jeunes filles qui devraient correspondre à l’impression physique qu’elles donnent. Le cas d’Elo s’impose. Entre ma première vision d’elle très sérieuse, magnifique et réservée dans le bus 31 et la follette presque délurée que je découvre, un gouffre. Elle peut d’autant plus se permettre des écarts que rien dans sa silhouette et dans l’attitude dont elle peut se grimer ne le laissera transparaître. Le bon dieu, les anges et la vierge Marie qu’on lui donnerait à cette divine diablesse.
Aujourd’hui, son père a failli perdre la vie en voiture, manquant de peu l’écrasement par un vingt ou trente-six tonnes dont la remorque s’est renversée dans un tournant, en sens inverse. Le souffle du frôlement a fait exploser sa vitre avant gauche. Son instinct lui a très justement dicté de rouler sur le talus et d’accélérer. Seule solution pour s’en sortir. Vingt tonnes de couches-culottes sur la tête n’auraient laissé aucune fuite de vie.
Mardi 26 juin, 0h30 env.
Avant dernier jour de cours donnés pour la préparation de l’oral de français. Elo passe aujourd’hui à 16 heures. Petite pensée pour elle.
Je vais enfin pouvoir me consacrer au Gâchis, années 96-99. Mon été s’annonce studieux, pour ne pas changer, mais pauvre en revenus. Le séjour d’août prévu à côté de Biarritz est annulé (Karl ne pouvant pas prendre de vacances). Je m’accorderais une semaine pour visiter ma grand-mère à cette période.
A moins d’un coup de foudre transcendant, ma morne existence ne décollera pas.

Jeudi 29 juin
Mort de Vittorio Gassmann à 77 ans. Avec Ornella Muti, mes deux figures italiennes préférées.

Vendredi 30 juin
Nouveau rythme pour une lourdeur estivale lyonnaise. Le mois de juillet doit me permettre de finaliser les corrections du Gâchis, de taper les années 96 à 99 et d’intégrer les interrogations de Sandrine à ma correspondance.
Hier soir, revu Isabelle M. que j’avais très injustement soupçonnée des pires intentions par son silence prolongé. Professeur de lettres modernes à l’université Lyon III (Jean Moulin) elle me propose de faire mes premiers pas dans l’enceinte universitaire publique : prendre en charge les travaux dirigés en expression-communication et peut-être en droit pour des étudiants d’IUT (section gestion et technico-commerciale, je crois). La rentrée prochaine risque donc d’apporter une nouvelle dimension à mes interventions. Une fois dans les murs de l’enseignement supérieur, toute opportunité relationnelle ne pourra que me servir.
Au café Leffe de la place des Terreaux, j’attarde mon regard sur les petits jets éclairés qui habillent l’étendue asphaltée. Là, au milieu de tous ces groupes, je m’estime d’une sérénité vacillante.
Ce soir, à son retour d’une semaine sur la côte méditerranéenne, Nathalie me rendra peut-être visite au sortir du train. Elle réchauffera ainsi mon nid nocturne.
Dimanche, Sally doit venir à Lyon et profiter de l’occasion pour dîner avec moi. Avec l’ambiance prévisible de l’Euro 2000 (France-Italie) la quiétude lyonnaise risque d’être fortement perturbée et mon agoraphobie, lors des vautrements populaciers, de rendre la soirée difficile. Je l’appellerai demain pour l’informer de cette situation exceptionnelle.
Vittorio Gassman, emporté par la Parque, a déjà son éternité d’assurée dans le patrimoine cinématographique mondial. Toutes ces figures incarnées, une capacité à l’excellence multiforme, quelques chefs-d’œuvre me restent comme des joyaux : une comédie où il virevolte dans la peau tannée d’un démon déjanté ; dans la teinte dramatique, ce personnage schizophrène entre le mari exemplaire, posé, brillant, de Catherine Deneuve, et l’autre, le fou à la pastèque que l’on cache au grenier et que le neveu découvre dans l’œil de bœuf. Une vision saisissante du malade qui tire la langue et se repaît du gros fruit juteux. Me manque les deux titres.
Le grand cirque des gesticulations ambiantes n’en est que plus dérisoire. Ça beugle dans tous les coins et je me saoule de musique pour atténuer l’insupportable. Les notes rythmées canalisent mes pulsions dévastatrices.