Décembre

[E-mail à Claire D.]
Vendredi 1er décembre à 17h41
Si, par hasard, tu étais encore à ton poste je t'envoie ce coucou sur un air de Gérald de Palmas.
Finalement, j'ai retardé mon arrivée à Paris à demain 14 heures, et je vais en profiter pour visiter quelques amies parisiennes.
Je vous (toi et ta soeur) souhaite un bon week-end, et peut-être à dimanche fin d’après-midi.
Eh hop !

Lundi 4 décembre, 0h15
De retour de Paris. Pas pu voir Claire, monopolisée par sa sœur, mais de longs
moments passés avec l’adorable Aurore. Nous fêtons nos dix ans depuis notre première rencontre.
Elle se souvenait précisément du 6 décembre 1990 : nous avions déjeuné au restaurant et j’avais commandé une omelette paysanne. Après une décennie, elle garde intacte cette fraîcheur et une aura envoûtante. Quel plaisir de ne pas l’avoir perdue de vue et d’être le témoin affectif de son parcours existentiel.
Agréable soirée chez maman et Jean avec Jim et Bruce (arrivé en deuxième partie). J’ai appris par Jim la raison principale de la rupture du pater, depuis la lecture de mon Journal. Il trouve « écoeurant » que j’ai pu consacrer aussi peu de pages à lui, sa femme Anna et ses deux enfants Ales et Raph L’égocentrisme est tel qu’il prend pour un affront inacceptable mes centres d’intérêt pour des choses « anodines ». Quel motif incongru ! Depuis quand le genre littéraire du Journal doit-il être calibré scientifiquement (et en fonction de quels critères ?) concernant les sujets abordés ? Mes contacts avec lui et sa famille ont toujours été sporadiques alors que j’ai vécu une quotidienneté avec les animaux du château.
Ce ressenti transcrit, avec la subjectivité comme guide revendiqué, lui semble intolérable. Cela me paraît un non-sens littéraire. A-t-il lui-même écrit un seul texte en hommage à sa défunte maman, alors que ses poèmes traitent de sentiments que l’on pourrait juger insignifiants ? Si cela est confirmé dans le courrier qu’il doit nous adresser à chacun, je me ferai un devoir de lui rappeler les règles basiques pour un diariste.
Une nouvelle réussite juridique pour moi. Reçu copie du jugement rendu par le TASS de Laon dans l’affaire SCIv/URSSAF. Le tribunal a reconnu l’existence d’un « cas exceptionnel », en l’espèce la négligence du greffe, pour éviter à la SCI de s’acquitter des majorations de retard réclamées. Mes conclusions ont été suivies par la Présidente de cette juridiction. Un bon point que je peux m’accorder, c’est si rare !
Rendez-vous téléphonique ce soir avec Heïm, sans doute pour programmer la fin de l’association Hisloc. Mon activité éditoriale a cessé de fait depuis un an pour de multiples raisons : au premier chef une rémunération dérisoire, au regard du travail accompli, et un manque de temps croissant.

[E-mail à Claire D.]
04.12 à 6h21
Chère Claire,
Même si j'ai passé un très bon week-end, je reste très déçu de n'avoir pas pu te voir. Et l'achèvement est venu lorsque tu m'as proposé de rester dimanche soir alors que mes engagements m'obligeaient à retourner à Lyon pour ce matin...
Si tu es disponible le week-end prochain (9 & 10) ou le suivant (16 & 17) et prête à me le consacrer, je ne viendrais que pour toi. Cela me ferait vraiment plaisir.
Je t'embrasse.

A 13h22
[Je vois 6h22 dans le message que tu as envoyé. Tu es tombée du lit ou ton horloge est déréglée ?]
Non, mon réveil est parfaitement à l'heure. Je me suis levé à six heures ce matin pour mon intervention à 8 heures.

[Tu vas dire que je le fais exprès, mais le week-end prochain, j’ai une expo le samedi (j’ai déjà réservé les places) et le dimanche un déjeuner de famille chez ma cousine en banlieue. Quant au week-end du 16-17, je pars à Marseille si j’arrive à décaler ma réunion du vendredi après-midi.]
Bien chargée tu es... alors tant pis pour moi.
Bonne journée.

Pas encore minuit de ce lundi. J’ai bien défoulé ma verve lors de ma conférence pour les médecines de Grange Blanche. Le sujet : la perception critique de l’hôpital dans Thérapie de David Lodge. Mes quelques notes ordonnées autour de trois axes m’ont permis de tenir mes presque 1h30 sur ce thème. L’une de mes digressions, la plus significative, a porté sur l’émission Tabou diffusé sur France 3 et qui traitait d’une affection psychique rarissime : un homme et une femme souhaitant à tout prix se faire amputer d’une ou deux jambes au-dessus du genou (centre de la souffrance du personnage de Lodge !). En dehors de ce travers effarant, ils se montrent parfaitement normaux, et même (pour l’anglais) d’une intelligence vive, avec une puissance argumentative pour défendre leur quête sans pareille. J’écris ces quelques lignes à l’écoute de standards repris par l’attachante Björk, sur quelques tirades de harpe.
Première intervention ce matin, à P, pour un petit comité (trois personnes) en préparation d’un bac pro. Très bon contact.

Mercredi 6 décembre
Une heure du mat est allègrement dépassée et je n’achèverai pas l’émission de Dechavanne. Petit tour au pays des médecines parallèles, dites douces, et condescendance de l’officielle, celle qui peut s’autoriser des erreurs de diagnostic, des tâtonnements funestes ou des gourdes irréparables.
Notre président Chirac est, à nouveau, titillé par les affaires pas claires. Contrairement au talentueux Mitterrand, qui savait dissimuler comme un maître, Chirac ne semble pas parvenir à contenir le flot interrogateur de Big Media and Cie. Aura-t-il droit aux poussettes sitôt l’Elysée quitté ?
Avant de m’enfoncer dans les songes, je vais lire quelques pages sur les Chers amis de Pierre Botton.

[E-mail à Claire D.]
Jeudi 7 décembre à 13h26
Chère Claire,
J'émerge un peu après quelques jours de folie côté travail. Et toi, comment vas-tu ?
L'annonce d'une tempête rappelle de mauvais souvenirs. Fais bien attention à toi, si tu as à te déplacer.
A bientôt.

[E-mail à Heleen D.]
07.12
Chère Heleen,
Mon séjour à Paris s'est très bien déroulé. Je vais d'ailleurs y retourner pour Noël. Le 23 au soir, j'assisterai à une soirée musicale à laquelle un de mes frères participe comme musicien. Et toi que fais-tu ?
A bientôt.

[E-mail à Claire D.]
Vendredi 8 décembre à 13h23
J'ai eu beaucoup de travail du fait de mon séjour à Paris : notamment des copies à corriger. Et ce n'est pas fini... Je commencerai à pouvoir me détendre à partir du 15.
Je vais profiter ce soir de la fête des lumières à Lyon : de magnifiques choses au programme. Cela va bouger dans toute la ville, en espérant qu'il s'arrête de flotter.
En fait, la tempête n'a pas été bien méchante.
Je t'embrasse, te souhaite un doux week-end, et espère te voir bientôt.

Samedi 9 décembre, 1h45
La fête des lumières n’aura pas été pour moi. Rentré trop tard pour assister aux nombreuses représentations prévues, je n’ai côtoyé que la foule en masse, bien plus désagréable en solitaire. Insupportables entassements bruyants, je me suis exilé dans le cinéma Pathé, rue de la République, pour voir, dans une salle désertée, les dernières gesticulations de Jim Carrey dans Le Grinch.
En cours de lecture de Mes chers amis par Pierre Botton. On découvre la vraie valeur de certaines personnalités avec les bons points délivrés à PPDA, Foucault et Bocuse et la stigmatisation des mauvaises graines Pivot, Villeneuve, Elkabbach et surtout le pro de la gentillesse simulée, l’inattaquable à durée déterminée, Chirac.
Toujours aucune nouvelle pour la publication de mon Gâchis. J’ai le sentiment qu’il ne verra pas le jour par cette voie.
Le soir. Passage au café Leffe, place des Cordeliers.
L’air hivernal, malgré ses douceurs éhontées, commence sur la plus mauvaise base. Etriper du garçon mal fagoté.
Ce qui assombrit mon déracinement tient à l’absence d’éléments substitutifs. Pour compenser, je m’assourdis de mélodies aux rythmes distractifs.
Tout autour, l’échange prime. Assumer le sens inverse du grégaire parce que les circonstances l’imposent. Moi, dont l’activité se résume à diffuser de la connaissance par la voie orale, à démontrer, convaincre, apprécier, cela toutes cordes vocales dehors, je me renfrogne sitôt sorti de la sphère professionnelle.
Le dernier Woody, pas le toon mais l’intellectuel du cinoche américain, est une jolie comédie sur les tares humaines, toutes classes confondues.
Je dois finalement puiser dans cet exil le plus positif, ce qui pourrait m’ouvrir d’autres sphères.
Si je m’étais efforcé de conserver des liens avec tous ceux fréquentés sérieusement à Lyon, depuis les débuts de mon célibat, je serais aujourd’hui entouré d’une trentaine de personnes. L’exil volontaire ne se fonde que sur ma propre exploitation du relationnel lorsqu’il ne me comble pas. Je fais le mort pour mieux écarter ce qui ne sied pas au poil à des conceptions centrées sur l’horizon d’ivoire. Dans cette optique, rien ne comblera jamais mes soleils et mes lunes rassemblés pour un défilé étourdissant.
Bientôt à cours de mine, les notes de Witney H. me garde dans la sphère du sacré.
Face à moi, deux humanoïdes de type femelle qui se croient l’objet de mon attention.

[E-mail à Claire D.]
09.12 à 18h45
Je n'ai rien vu de bien significatif ce vendredi : arrivé trop tard, trop de monde... J'ai fini dans une salle de cinéma déserte à voir un navet. Sinistre tableau pour une fête des lumières !
[Comment vas-tu ?]
Ma santé va bien, mon moral stagne. Je n'ai pas ces élans comme toi en ce moment... plutôt assurer la survie vaille que vaille, mais en me demandant parfois si cela sert vraiment à quelque chose.
Je te souhaite un bon début de semaine.

[E-mails à Claire D.]
Lundi 11 décembre à 13h37
[Qu’es-tu allé voir au ciné ?]
Je suis allé voir Escroc mais pas trop : une bonne comédie avec une vivacité de dialogue comme Woody sait les faire.
[Quand viens-tu à Paris en décembre ?]
Je serai à Paris du 22 décembre au matin au 26 décembre au matin.
Pour aller à Marseille, tu passes par Lyon, non ? Si tu as une correspondance pas trop rapide, on pourrait boire un verre, je suis à 5 minutes de la gare.
Bonne journée.

A 14h09
Ah c'est par l'avion que tu y vas... alors je n'aurais pas de ressorts assez
performants pour te faire coucou.
Le navet, c'est Le Grinch, avec Jim Carrey, malgré une profusion de moyens... En fait, pas vraiment un navet : ma mauvaise disposition d'esprit en a fait un mauvais film, mais il est esthétique et plutôt pour les enfants.
[Eh bien on ne peut pas dire que ce soit la grande forme today. Que se passe-t-il au juste dans ton cœur ?]
Ce qui se passe chez moi ? Incapacité à le dire. Si ce n'est cet isolement qui s'éternise. A 17ans, un de mes poèmes finissait par : « Isolé partout / Baigné dans tout / J’expire. » J'étais aussi joyeux à l'époque...
A suivre...

Mardi 12 décembre, 0h37
Jean Tibéri a décidément beaucoup de panache face aux gesticulations misérabilistes des RPR. Dernière crasse en date : le refus de voter le budget par ceux qui avaient participé à son élaboration. Si je résidais encore à Paris, j’aurais été tenté de m’inscrire sur les listes électorales et, pour la première fois, de voter... pour Tibéri. Après avoir démontré une telle résistance dans la dignité, il mérite amplement de conserver l’Hôtel de ville, d’autant plus face à l’incongru Séguin, qui a sans doute bouffé une chèvre de trop, et à l’inconsistant Delanoë, dont le charisme est aussi étroit que ses épaules.

[E-mail à Claire D.]
Mercredi 13 décembre à 0h26
[Ton absence ne me dit rien de bon. Es-tu fâché contre moi ? Ou est-ce la tristesse de l’hiver qui te pousse à t’enfermer ainsi sur toi-même ?]
Pour être sincère Claire,
Je crois que j'attendais de toi des choses que tu ne peux pas m'apporter, mais je ne t'en veux nullement, c'est contre ma tendance à me jeter des illusions que je bouillonne. Ta psychologie est effectivement trop parasitée par ces plaies ouvertes, ta vie est trop prise par ton relationnel démultiplié, et je demeurerai, accessoirement, un correspondant internaute. Finalement, ce n'est déjà pas si mal, d'autant plus lorsque je peux acquérir, de façon éphémère, le statut de confident.
Je suis venu, je ne t'ai pas vu, j'en suis retourné déçu, le désespoir dans l'âme de ne même plus pouvoir vivre quelques instants d'exception avec ceux (celle en l’occurrence) qui me galvanisent vraiment. Voilà l'explication de ce retrait plus ou moins volontaire : ne pas t'encombrer (je le fais un peu là, mais sur ta demande...) l'esprit davantage avec mes propres déchirures, et sans doute me préserver de désillusions prochaines. Mais, encore une fois, tu n'y es pour rien.
Dis-moi Claire, quelle est la teneur de tes deux autres envois de 19h19 et 19h21 avec des pièces jointes qui semblent volumineuses ???
Voilà pour cette mini confession. Dans l'attente de te lire, je t'embrasse.

Mercredi 13 décembre, 0h28
Je devais passer la soirée et la nuit de ce mardi chez Stéphanie. Juste avant que je ne rencontre le groupe d’étudiantes à l’Université Lyon III pour le projet tutoré MJC Ménival, je reçois d’elle un appel sur mon portable. Elle, toujours si prompte à positiver les plus problématiques situations, a la voix rempli de larmes : un terrible accident de la circulation, en Bretagne, lui a fait perdre une tante et un cousin.
Elle rejoint, dès ce soir, sa famille. Je suis ému par son désespoir, caché tant bien que mal, et je m’essaye maladroitement à l’assurer de mon entière disponibilité si elle a besoin de quoi que ce soit.
Claire m’a envoyé un e-mail un peu plus nourri ce soir, se demandant si je lui en voulais. J’ai tenté de synthétiser, dans une mini-confession, mon état d’esprit. Mon retrait, vis-à-vis d’elle, tient au décalage entre l’impact qu’elle a, malgré elle, sur moi, et ce que je peux espérer de notre relation.
Tête en l’air que je suis. Sans ma voisine de palier, mes clefs disparaissaient, avec le danger d’un cambriolage en douceur. Après une descente chargée de bouteilles en verre vides (ou presque...) et de ma sacoche, et un retour à l’entrée de l’immeuble pour nettoyer quelques coulures de vin rouge échappées, j’ai laissé mon trousseau pendant sur la porte d’entrée de l’immeuble. Un peu plus de deux heures plus tard, ma voisine les récupérait. L’Alzheimer me guetterait-il ?
Tous les jours, je croise des figures charmantes qui rejoignent mon interminable cimetière des occasions manquées.

[E-mails à Claire D.]
13.12 à 13h23
[Qu’attendais-tu de moi vraiment ? J’ai l’impression que tu me fais des reproches, notamment celui d’avoir un relationnel démultiplié, pour reprendre tes termes. J’ai le sentiment que tu es en attente vis-à-vis de moi et cela m’étonne parce qu’en même temps, nous nous connaissons à peine.]
Si je suis négatif, j'ai une concurrente de choix (clin d'oeil) : pourquoi penses-tu que le personnage de Claire est en total décalage avait la Claire que je crois percevoir ?
En fait, je ne voulais pas ajouter à tes soucis actuels, et j'ai complètement loupé mon coup. J'en suis désolé.
Pour ton relationnel démultiplié, il serait crétin de ma part de t'en faire le reproche. La seule chose qui pourrait expliquer ma formulation c'est une envie d'être davantage associé au cercle affectif que tu as.
Tu as souvent utilisé la formule « nous nous connaissons à peine », mais je ne trouve pas qu'elle puisse justifier un frein à mon envie de davantage te côtoyer. Jamais la naissance d'une relation forte (qu'elle que soit sa nature : amicale, affective ou sentimentale) n'a été conditionnée par une ancienneté nécessaire du temps de fréquentation. Tu ne crois pas ?
En tout cas, pour l'entrevue du 22 je suis évidemment partant. Veux-tu me retenir ta soirée ?
J'espère encore ne pas t'avoir trop ennuyé. Bien à toi.

[E-mail à Heïm]
13.12 à 22h06
Cher Heïm,
N'ayant pas été capable de maintenir un programme éditorial pour l'association Hisloc, je crois qu'effectivement il faut y mettre fin.
Pour pouvoir compenser les versements à toi et à Lorisse, je te propose soit de continuer la diffusion des titres qui me restent et de reverser l'intégralité, soit de renvoyer le stock en ma possession.
Si c'est la seconde solution que tu souhaites retenir, je te propose d'arrêter les comptes au 31 décembre prochain et, soit de laisser l'association en sommeil, soit de la dissoudre.
Par ailleurs, j'ai une commande d'un L'enseigne à Lyon : dois-je la faire parvenir à Monique ?
Je t'embrasse très fort.

Vendredi 15 décembre
Après un échange d’e-mails avec Heïm, décision de faire rentrer l’association Hisloc dans un sommeil probablement très durable, voire définitif. Je retourne le stock restant et officialise ainsi, après douze ans d’activité, la fin de mon rapport avec l’édition. La distance avec le château ne pourra s’en trouver que renforcer et mon exil s’éterniser.
Aucune allusion, de sa part, sur la publication du Gâchis, et ce n’est pas moi qui réclamerait quoi que ce soit. Sans doute une sanction indirecte de ce qui peut paraître comme un lâchage de ma part. La survie autonome m’a simplement conduit vers ce qui pouvait, très relativement, m’assurer une sécurité financière minimum. Avec un travail aussi prenant, l’édition en solitaire ne pouvait même pas me fournir la moitié de ce que j’arrive à gagner dans la sphère pédagogique. Si je ne suis motivé par aucune ambition, il me faut garantir un minimum vital que l’activité éditoriale, sous cette forme, ne permettait pas d’atteindre. Sans doute un autre gâchis : il me faut tous les expérimenter !
Chirac, notre Président, chez Poivre d’Arvor, ou plus exactement ppda reçu dans le château (surnom donné à l’Elysée dans le sérail politique) a permis d’assister à un très beau numéro de rhétorique, avec grands principes et combativité intacte.
Ce soir, je dîne avec Flo du Domaine, avant son éventuel départ pour l’Angleterre.

Dimanche 17 décembre, 0h30
Un samedi soir presque exclusivement consacré à la correction de copies Galien. Et demain cela continue. J’ai de plus en plus le sentiment de faire du bénévolat pour cet Institut, lorsque je compare le temps passé par rapport à la rémunération allouée. Cet organisme figure au bas du tableau de mes interlocuteurs-payeurs aujourd’hui et, aussi intéressants que sont les domaines de mes interventions, il faudra qu’il mette la main à la bourse, faute de quoi je tenterais de trouver autre chose ou d’étendre une de mes collaborations en remplacement. Je note, par ailleurs, un manque de tact de monsieur G. qui n’a toujours pas répondu à ma demande de revalorisation du taux horaire. Si le carriérisme m’emmerde, me faire exploiter m’insupporte, d’autant plus par des gens avec qui je n’ai aucun lien autre que professionnel.
L’entrevue avec Flo, via une crêperie découverte cet été avec Heleen, s’est très bien déroulée. Amicalement, notre lien aura peut-être plus de chance de survivre.
Cours exprès, samedi fin de matinée, à mon élève préférée : Elo, qui m’avoue ne décidément pas être faite pour la philo. Au programme de l’heure et demie : plancher sur un extrait de Hobbes traitant de la notion de liberté dans le cadre d’un Etat de droit, et donc de lois. Toujours un vrai plaisir régénérant d’être en sa compagnie. J’espère que, son bac en poche, elle ne me perdra pas de vue... amicalement bien sûr. Sa sœur Cécile (qui me semble plus fine à chaque venue) et son chirurgien de mari étaient présents dans la maisonnée familiale. Quel contraste avec mon mode de vie érémitique. Au cœur de Lyon, je vis l’essentiel de mes loisirs en autarcie.
Le fait d’avoir constitué mon carnet relationnel, depuis mes débuts universitaires, presqu’exclusivement de filles explique le désert du moment. Une fois en ménage, les belles donnent peu, voire plus de nouvelles. Shue en est la dernière illustration.
Attentiste, je n’envisage rien côté construction existentielle. J’assure le minimum pour vivre, je remplis ces quelques pages pour me donner l’illusion d’une utilité de mon passage terrestre, mais, au fond, j’attends la fin sans appréhension, comme le seul accomplissement que je suis sûr d’atteindre.
Ce matin 9h. J’émerge à peine d’un bien curieux rêve, en rapport avec la nuit musicale Babou expérience à laquelle Jim est partie prenante. Ce sera dans la nuit du 23 au 24 décembre prochain, dans la région parisienne, et je serai présent, au milieu de deux cents ou trois cents personnes attendues. L’affaire n’est pas sans risque, puisque de l’argent a été investi, notamment pour la location du lieu, et qu’il faut impérativement ramener du monde (à 50 francs la place) pour assurer l’équilibre financier.
Dans mon songe, localisé vers chez ma grand-mère (pour un des passages en tout cas) cette soirée a été organisée de la façon suivante : une quarantaine de courriers nominatifs, mis en forme et envoyés depuis le domicile de la mère d’une fille partie prenante au spectacle, doivent permettre, grâce au bouche-à-oreille, de réunir le quota attendu. Drame et aberration, quelques jours avant la date fatidique, cette file tombe malade, et la décision est prise de tout annuler : nouvel envoi de lettres explicatives aux quarante rabatteurs potentiels. C’est dans ce contexte que j’interviens, avec un Jim qui maintient la soirée et compte sur une autre forme de bouche-à-oreille pour sauver l’affaire. Je vais alors me battre, employer toutes les ressources argumentatives, avec l’approbation de
Bruce présent (et engagé dans la soirée), pour le convaincre d’actions (téléphoniques) à mener pour annuler cette annulation. Peu avant mon réveil, image d’un Jim dépité par cette situation, jouant sur sa guitare avec l’ampli à fond dans la rue principale de Fontès et moi, au porte-voix, pour lui faire entendre raison. Au moment d’émerger, le juriste que je reste se demande s’ils ont prévu une clause de remboursement des frais de location en cas d’annulation de Babou expérience pour cas de force majeure. J’espère que ma préoccupation fraternelle n’est pas prémonitoire...

Lundi 18 décembre, 0h30
Le premier Projet Blair Witch est beaucoup plus prenant. Ces trois étudiants partis vivre et filmer quelques émotions en forêt dite hantée, et qui n’en sortiront plus après avoir sombré dans la plus psychologique des terreurs, paraissent plus vrais que nature.
La réussite de la première mouture, contrairement au second volet, est de ne pas montrer de violence sanguinaire, tout se basant sur la tension psychique, et de fonder l’aventure dans cet espace étouffant d’une forêt incernable. La fin morbide des intrus estudiantins demeure ambiguë. Un malaise vous gagne, comme si vous faisiez partie de l’expédition et que vous étiez désigné pour être la prochaine victime. Tout passe par le regard des caméras de ce trio condamné.
S. m’a appelé aujourd’hui pour m’offrir très gentiment son hospitalité lors de ma venue à Paris. Je risque d’accepter pour la nuit du 22 au 23.
23h30. Charles Millon nous a concocté une jolie plaquette titrée 2007 - Lyon tel que vous l’avez rêvé. Le scénario est fantasmé dès la page tournée : « En mars 2001, vous m’avez élu maire de Lyon »... et suivent les réalisations supposées faites, les plus spectaculaires, pendant son mandat. Communication hardie qui lui aura permis de s’y croire, suivant en cela les conseils de l’inégalable Fernand Reynaud.
Suite à des chevauchements d’invitations, je ne rejoindrais la Babou expérience, si j’en ai la possibilité technique, que vers une heure du matin, après avoir assisté à une opérette. Le contraste risque d’être saisissant.
L’émission Pièces à conviction, sur France 3, consacrée aux problèmes de la vache folle, ne peut que constater les défaillances administratives et politiques depuis quinze ans, la cynique loi du marché pour l’engraissement pécuniaire de quelques industriels...
Je cale, et demain levé tôt.

[E-mail à Claire D.]
Mardi 19 décembre à 12h59
Chère Claire,
J'espère que je ne suis pas boudé, voire persona non grata, mais que seule ton occupation t'empêche de me répondre.
A bientôt donc.

Jeudi 21 décembre, 1h30 du matin
De retour dans mon nid après une amicale soirée chez Arbya. La variété de ses soucis fait ressembler ma réclusion lyonnaise à une hilarante villégiature. Le comportement de son ex-mari en est la triste explication. Cela me conforte dans une méfiance exacerbée envers autrui et dans une abstinence de toute construction familiale si elle ne résulte pas d’une complicité duale exemplaire.
Cours à la pétillante Elo dont l’œil au beurre noir, suite à un ma­lencontreux coup de coude lors d’un de ses matchs de basket, semblait se rétablir.
23h58. Avec quelques notes émouvantes de Björk, je me laisse absorber par les mouvements de plume. A quelques heures de mon départ pour un Noël parisien, je suis partagé entre la joie attendue des instants variés qui s’annoncent et une lassitude ancrée qui s’affermit les années passant.
Je dois normalement avoir une entrevue avec Claire demain soir. Ses e-mails se sont réduits au strict minimum depuis que je me suis un chouia épanché sur mon penchant pour elle. Je vais encore une fois faire fuir une de celles dont la relation m’était galvanisante. Pourquoi je n’attire que celles dont je ne veux pas ? L’impression très décourageante d’incarner un Sisyphe sentimental, qui n’aura jamais sa chance avec une demoiselle la séduisant. « He believes in a beauty » déclame la touchante Björk : moi je ne crois qu’à ma damnation existentielle.
Premières fêtes de fin d’année, depuis bien longtemps (et premières de ma propre initiative), où je ne mettrai pas les pieds au château. Un signe ? Sans aucun doute de la distance prise de part et d’autre. J’ai récupéré les stocks MVVF chez l’ELAH, et dès la semaine prochaine je renvoie le tout (avec les exemplaires chez moi) dans le nord. L’autonomie mentale dans l’exil sera alors vraiment accompli. Le vivotage qui s’en suivra me reviendra totalement. Toutefois, et curieusement, je ne me sens pas encore prêts pour faire la part des choses dans ce détachement accentué : un rejet d’une forme de vie incompatible avec mon goût pour un retrait de tout, une espèce de désengagement moral.

Si le premier tome de ce Journal n’est en fait pas publié, contrairement à la promesse de Heïm, ce sera sans doute pour moi l’amorce d’un changement de cap littéraire : plus de zone préservée de toute critique. Quitte à rejoindre la clandestinité absolue, autant qu’elle me permette un abordage tous azimuts sans concession, sans faux-semblant illusoire. Je n’aurais alors plus aucun intérêt général à défendre. Même ma sécurité, je m’en contrefoutrais. Voilà au seuil de quoi je suis...

[E-mail à Claire D.]
21.12 à 17h01
J'ai bien eu ton message et je t'en remercie.
Pour vendredi on peut par exemple se retrouver en début de soirée (tout dépend de ton heure de disponibilité) et manger ensemble. Je pars demain à 9h du matin.

Mercredi 27 décembre, 1 heure du matin
Un séjour à Paris bien rempli : très agréables moments avec Claire, soirée gourmande (opérette plus Dôme) avec Sally, Karl, I. et S., Noël convivial chez maman avec un acte de générosité très touchant de Jean, retrouvaille de la famille G. au complet à Trappes.
Pour le reste, l’humeur n’a pas retrouvé d’angle positif.

Jeudi 28 décembre, 1h30
La fin de millénaire approche et l’inspiration ne décolle pas. Je vais passer cette transition en solitaire, cloîtré chez moi. Vendredi matin, quatre gros cartons
seront pris par un transporteur privé, direction Au : le stock d’Hisloc que je vais mettre en sommeil... ad vitam ? La distance avec le nord s’accroîtra d’autant plus.
Reçu, de la part de Heïm, une reproduction d’Elégie, bronze de Hermione. Finesse et inspiration, elle fait de très jolies choses et est présentée dans une galerie parisienne.
Très curieux de revoir la famille de mon premier amour. La petite sœur Agnès, toujours aussi ravissante et pleine de vie, est revenue des Etats-Unis pour quelques jours avec son mari d’origine indienne. La maman, qui a une ligne de jeune fille, m’a entraîné dans sa chambrette pour me montrer les trésors de sa bibliothèque. Depuis quelques années, elle fait chambre à part avec son mari, que j’ai trouvé un peu éteint. Les nombreuses photos encadrées d’Agnès (en couple ou seule) face à une ou deux d'Aurore, et le même nombre pour Caroline, révèlent les préférences d’une mère devenue la voix dominante depuis la déchéance professionnelle du mari. Malgré la gentillesse extrême de ces gens, j’ai ressenti la prégnance d’un abandon insidieux pour mieux passer sur les tensions vécues. Leurs filles parties, ce chez-soi a certainement perdu de son âme, de sa vie renouvelante. La maman se concentre sur ses études (un dess en cours, après avoir obtenu un dea) et le papa prend en charge nombre de tâches domestiques.
Mon ordinateur continue sa mission de défragmentation après avoir opéré une vérification minutieuse de ses intérieurs par Scandisk. Je suis ainsi contraint à la veille.

Dimanche 31 décembre

Sandrine me tiendra compagnie pour ce satané jour comme les autres. N’ayant rien programmé comme défoulement festif l’un comme l’autre, nous partagerons un bon repas chez moi, aux consonances lyonnaises, puis filerons dans une grande salle obscure pour découvrir l’Incassable du réalisateur de Sixième sens. A minuit, le film ne sera pas fini, nous éviterons ainsi tout marquage particulier pour ce passage d’un millénaire l’autre.
Soirée et nuit dernières passées avec Stéphanie. Ce matin, monologue cathartique pour clarifier davantage mon sentiment d’inutilité tant pour l’un que pour l’autre de cette relation. Je ne ressens pas d’inclination instinctive pour elle, ce qui a amputé mon rapport avec elle de ce qui fait l’essentiel d’un lien dans la densité complice et affective. Cela ne manque pas de rejaillir sur quelques passades sexuelles sans consistance. En bref, une perte de temps réciproque.
L’idée m’est venue dans la nuit de Noël : faire de mon Gâchis exemplaire un projet Blair Witch littéraire. Un avertissement préviendrait que le manuscrit a été retrouvé près du corps, écrasé par une cheminée, de son auteur supposé. Drame de la tempête de fin 99 qui a mis un point final à ce témoignage sur le vif. Une mort absurde pour un individu aux prises avec ses échecs et ses contradictions. Un système d’énonciation réduit à la vision du narrateur, dont la plume éminemment subjective sert de fil conducteur au lecteur. Sans nouvelles, en avril 2001, des promesses d’édition faites par Heïm, je tenterais d’approcher quelques grands éditeurs parisiens (dont Fayard, la maison de Madeleine Chapsal).

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